obligations médecin

L’obligation de donner des soins attentifs et consciencieux comporte pour le médecin l’obligation de se renseigner

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Le médecin doit se renseigner avec précision sur l’état du patient dont il s’occupe.

En l’espèce, une patiente souffrant de céphalées depuis de nombreuses années, subit un examen qui révèle une malformation artério-veineuse. De nouveaux examens révèlent la présence d’un angiome résiduel et d’une hémianopsie partielle. Le chirurgien procède à l’exérèse de la partie du lobe occipital permettant le retrait de la malformation.

Dans les suites de l’opération, la victime voit sa vue se dégrader fortement. La patiente assigne l’établissement.

les rapports d’expertise considèrent que l’indication thérapeutique était la bonne, qu’il n’y avait pas d’alternative et qu’aucune faute de geste chirurgicale ne peut être retenue.

Sur la base de ces rapports, le tribunal et la Cour d’appel déboutent la plaignante.

Pour la Cour de cassation, il ressort des éléments du dossier que le chirurgien croyait que la patiente était atteinte d’une hémianopsie complète, sans dommage donc pour la vision centrale. Or l’hémionopsie étant incomplète, l’opération a entraîné une dégradation de l’acuité visuelle de la patiente.

Le médecin a donc pensé, fautivement, que l’intervention était sans risque.

 

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 5 mars 2015
N° de pourvoi: 14-13292
Publié au bulletin Cassation

Mme Batut (président), président
Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

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Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1147 du code civil ;

Attendu que l’obligation, pour le médecin, de donner au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science comporte le devoir de se renseigner avec précision sur son état de santé, afin d’évaluer les risques encourus et de lui permettre de donner un consentement éclairé ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, souffrant depuis l’enfance de céphalées, a subi, en 1988, un examen révélant une malformation artério-veineuse, traitée au sein de la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild (la fondation), puis par radiothérapie ; qu’à la suite de nouveaux bilans confirmant la présence d’un angiome résiduel et d’une hémianopsie partielle, l’exérèse d’une partie du lobe occipital droit permettant l’ablation totale de cette malformation a été pratiquée le 23 septembre 1998 par M. Y…, chirurgien salarié de la fondation ; que, dans les suites immédiates de l’intervention, une dégradation de l’acuité visuelle de la patiente est survenue, accompagnée d’une double hémianopsie latérale complète ; que Mme X… a assigné la fondation en réparation de ses préjudices ;

Attendu que pour rejeter la demande de Mme X… en indemnisation de ses préjudices corporels, l’arrêt retient que l’indication opératoire était justifiée et qu’aucune faute ne peut être reprochée à M. Y… dans le geste chirurgical, compte tenu de la localisation anatomique de la malformation dans le lobe occipital du cerveau, siège de la vision, ni dans la technique mise en oeuvre qui était la seule possible ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’avant l’intervention, le chirurgien croyait, à tort, que Mme X… était déjà atteinte d’une hémianopsie complète, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 décembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild et la Société hospitalière d’assurances mutuelles aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme X….

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir dit qu’il ne pouvait être reproché aucune faute aux médecins dans le geste chirurgical, d’avoir dit que le manquement à leur obligation d’information à l’égard de Mme X… relativement à l’intervention d’exérèse chirurgicale du 23 septembre 1998 n’a pas entraîné de perte de chance pour Mme X… de refuser l’opération et d’éviter le risque et d’avoir en conséquence débouté Mme X… de toutes ses demandes au titre de l’indemnisation de ses préjudices corporels ;

AUX MOTIFS QU’il résulte des rapports d’expertise du Pr Z…et du Pr A…ainsi que des pièces médicales produites que Mme X… présentait depuis l’enfance des épisodes de céphalées frontales droits devenues plus intenses à la suite d’une grossesse, les céphalées étant souvent accompagnées d’un scotome central ainsi que de nausées sans vomissement ; qu’un scanner réalisé le 15 décembre 1988 à Dijon a mis en évidence une malformation artério-veineuse temporale droite, confirmée par une artériographie réalisée par le Dr B…à la Fondation Rothschild ; que le docteur B…a réalisé plusieurs séances d’embolisation entre mars 1989 et juin 1991et devant l’impossibilité de poursuivre la réduction du nidus angiomateux, il était alors envisagé de compléter le traitement par une exérèse chirurgicale ; que Mme X… refusait cette intervention et était alors adressée au docteur C…au CH de Lille pour une radiothérapie multifaisceaux réalisée à deux reprises en avril 1994 et décembre 1995 ; que deux contrôles artériographies étaient pratiqués en juin 1995, à un an de la première irradiation et en février 1998 à trois ans de la seconde irradiation, confirmant la persistance d’un résidu angiomateux actif d’environ 2 cm dans son grand diamètre sur 1 cm dans son plus petit diamètre, situé dans la région occipitale droite ; qu’à la suite de ces examens le Dr B…a proposé de procéder à l’exérèse chirurgicale de ce résidu angiomateux ; que l’intervention pratiquée le 23 septembre 1998 par le Dr Y… à la Fondation Rothschild a consisté en une ablation réglée du lobe occipital droit dans ses deux tiers internes permettant de faire l’ablation de la malformation, sans complication hémorragique et avec la quasi-certitude de son ablation totale ; qu’une nouvelle artériographie réalisée le 29 septembre 1998 a permis de constater que l’exérèse de la malformation artério-veineuse avait été complète ; mais que Mme X… s’est plainte, immédiatement après cette intervention, d’une dégradation de son état visuel et que l’examen pratiqué le 29 septembre a permis de relever une acuité de 5/ 10 à droite et de 4/ 10 à gauche, et une aggravation de l’hémianopsie latérale homonyme gauche avec atteinte nette de l’axe visuel, alors que les derniers examens pratiqués avant l’intervention les 17 mars et 9 avril 1998, avaient noté une acuité visuelle de 9/ 10 à chaque oeil avec amputation du champ visuel latéral homonyme gauche incomplète mais préservation de la vision centrale et du champ visuel central ; que l’acuité visuelle a ensuite chuté puisque Mme X… présentait, lors de contrôles des potentiels visuels réalisés le 8 février 2007, une acuité visuelle binoculaire de 2/ 10 ; que les deux collèges d’expert retiennent que l’aggravation du champ visuel après l’intervention du 23 septembre 1998, telle que constatée au lendemain de celle-ci, c’est-à-dire une perte de vision à 4/ 10 avec hémianopsie latérale homonyme gauche complète ne laissant qu’une épargne maculaire partielle, est en relation directe et certaine avec l’acte critiqué ; mais qu’ils écartent tout lien de causalité entre la détérioration visuelle subséquente et l’intervention, le Pr D…indiquant : « l’évolution actuelle de l’acuité visuelle qui a chuté à 2/ 010ème en vision binoculaire ce jour ne doit pas être rapportée à cette intervention chirurgicale du 23. 09. 98 puisque l’acuité visuelle chiffrée à 4/ 10ème a été retrouvée stable pendant plusieurs années après cette chirurgie » et le Dr Monique E…retenant que l’aggravation de l’état visuel de Mme X… est à rapporter à la maladie oculaire (glaucome) indépendante des conséquences de l’intervention ; que sous le régime juridique applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 le médecin s’engage dans le cadre du contrat qui le lie à son patient à donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention ; qu’il s’agit d’une obligation de moyens et qu’il appartient au patient d’établir l’existence d’une faute directement en lien de causalité avec le préjudice dont il souffre ; que le tribunal a justement considéré, au regard des constatations médicales concordantes des experts, qu’aucune faute ne pouvait être reprochée au Dr Y…, ni dans le geste chirurgical, compte tenu de la localisation anatomique du résidu de la malformation dans le lobe occipital du cerveau, siège de la vision, et au regard de la qualification d’aléa thérapeutique ou de risque inhérent au geste chirurgical retenue par les experts, ni dans la technique opératoire mise en oeuvre qui était la seule possible ; qu’ainsi, le Pr Z…indique : « l’intervention menée par le Dr Y… est tout à fait conforme aux règles de l’art. (¿) la complication présentée par Mme X… en post-opératoire, c’est-à-dire l’aggravation de son hémianopsie latérale homonyme avec atteinte de sa vision centrale est à considérer comme un aléa de la thérapeutique entreprise » ; et que le Pr A…écrit, dans le même sens : « La seule technique consiste donc à faire le tour de l’angiome en passant au contact de la malformation mais dans le parenchyme cérébral. Ceci provoque forcément des troubles neurologiques en fonction du rôle du cerveau dont l’ablation est faite. En ce qui concerne Mme X… il s’agissait de l’aggravation de son champ visuel » ; que le Tribunal a retenu à juste titre que Mme X… ne rapportait pas la preuve du caractère incomplet de l’exérèse pratiquée par le Dr Y…, le Pr Z…ayant considéré que les comptes rendus d’IRM présentés, d’interprétation difficile eu égard aux divers traitements subis par la patiente, n’étaient pas pertinents sur la persistance d’un résidu angiomateux, alors que l’artériographie réalisée le 29 septembre 1998, soit six jours après l’intervention, montrait que l’exérèse avait été complète ; que la cour ajoute que le chirurgien n’est pas tenu à une obligation de résultat et que sa responsabilité ne pourrait être retenue que pour faute prouvée dans le geste opératoire, faute qui a été écartée par les deux neurochirurgiens intervenus en qualité d’experts dans le dossier ; que Mme X… soutient que le Dr B…et le Dr Y… auraient commis une faute dans l’indication opératoire, au motif que l’intervention ne se justifiait pas selon elle, au regard de la règle de la raison proportionnée entre les avantages et les risques ; qu’elle fonde son raisonnement sur le fait que la malformation dont elle souffrait n’était pas évolutive, qu’elle n’avait pas entraîné de modification dans son état, que le risque comitial était maitrisé sous monothérapie et que le risque hémorragique n’était que de 1 % par an ; qu’elle ajoute que le bilan des risques d’une abstention thérapeutique par rapport aux risques propres à l’intervention et à l’aggravation de son état visuel inhérente au geste chirurgical n’était pas positif ; mais que les deux experts ont de manière argumentée et raisonnée, indiqué que Mme X… avait bénéficié depuis 1989 d’une prise en charge tout à fait adaptée, d’abord dans le cadre du traitement endovasculaire, puis par la mise en oeuvre de deux séances de radiothérapie multifaisceaux et que, devant la persistance d’un résidu de la malformation, la seule possibilité était le recours à la chirurgie, sauf à admettre une abstention thérapeutique ; mais que le Pr Z…indique : « La complication la plus redoutable (d’un malformation artério-veineuse) est l’hémorragie pouvant entraîner un hématome intracérébral pouvant conduire lui-même soit au décès du patient, soit à un déficit neurologique séquellaire (¿). Il est évident que Mme X… présentait une malformation artério-veineuse dont l’angioarchitecture avec en particulier un anévrisme d’hyperdébit rendait le risque d’hémorragie plus important que dans d’autres malformations artério-veineuses » ; que le Pr A…confirme totalement cette analyse puisqu’il écrit : « Compte tenu du caractère très circulant de cette malformation, les risques d’hémorragie avec au minium des troubles du champ visuel et au maximum hémiplégie ou issue fatale étaient très importants et justifiaient donc tout à fait l’indication thérapeutique » ; que le risque d’une hémorragie cérébrale susceptible d’entraîner une issue fatale ou une lésion séquellaire sur le plan neurologique était donc majeur, contrairement à ce que soutient Mme X… ; que c’est en vain que Mme X… fait état des avis du Pr F…, neurochirurgien à Dijon et du Dr G…, neurochirurgien à la Fondation Rothschild, ayant disqualifié la proposition d’intervention chirurgicale en 1991, la cour observant que la situation de l’intéressée à cette date était fort différente puisqu’il existait alors une autre possibilité thérapeutique, le recours à la radiothérapie, et qu’à l’issue des divers traitements mis en oeuvre, le reliquat de la malformation était devenu en 1998 compatible avec une exérèse chirurgicale, ainsi que le proposait le 18 février 1998 le Dr Didier H…, du service de neuroradiologie du CHU de Dijon à l’issue du dernier contrôle artériographique de Mme X… ; qu’il convient de remarquer en outre, comme l’a fait le tribunal, que l’angiome cérébrale était à l’origine e la quadrinopsie puis de l’hémianopsie latérale homonyme gauche incomplète dont souffrait Mme X…, que les troubles visuels se sont aggravé au cours des premières années, Mme X… ne s’en plaignant pas trop compte tenu d’une bonne conservation de la vision centrale, et que l’évolution de la malformation artérioveineuse restante, si elle n’avait pas été opérée, aurait pu entraîner soit progressivement, soit rapidement à l’occasion d’une hémorragie, une aggravation de son état visuel ; que le risque d’atteinte visuelle lié à l’intervention était donc contrebalancé par le risque également important d’une aggravation naturelle de l’état visuel évolutif de Mme X… ; qu’il sera donc retenu qu’aucune faute n’a été commise par les médecins de la Fondation Rothschild dans l’indication thérapeutique d’exérèse chirurgicale du résidu angiomateux résistant aux divers traitements mis en place précédemment ; que Mme X… fait également grief au Dr B…et au Dr Y… d’avoir manqué à l’obligation de se renseigner, avant de prescrire ou de procéder à l’intervention d’exérèse, sur l’état ophtalmologique antérieur de leur patiente et d’avoir ainsi, à tort retenu qu’elle était atteinte d’une hémianopsie latérale homonyme gauche complète, alors qu’il est avéré que cette hémianopsie était incomplète ; mais que comme l’a relevé le tribunal, cette erreur est sans lien avec l’indication opératoire puisque la décision d’opérer pour procéder à l’exérèse totale de l’angiome résiduel a été prise, ainsi qu’il a été vu plus haut, au regard du risque hémorragique majeur que présentait Mme X… et qu’il ne peut être non plus méconnu le fait, ainsi que cela a été rappelé précédemment, que l’état visuel de la patiente ne pouvait que s’aggraver du fait de l’emplacement de la lésion ; que Mme X… reproche enfin aux médecins de la Fondation Rothschild, le Dr B…et le Dr Y… d’avoir manqué à leur obligation d’information sur les risques propres à l’intervention qu’ils envisageaient et sollicite l’indemnisation totale de son préjudice en affirmant que, mieux informée, elle aurait choisi la prudence et aurait refusé l’opération, comme elle l’avait fait en 1991 ; qu’il convient de rappeler comme l’a fait le tribunal, que le médecin est tenu d’une obligation d’information de son patient, préalable à un consentement éclairé de celui-ci et ce avant même l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 qui a consacré cette obligation ; que le praticien doit fournir à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des actes qu’il lui propose ; que cette information peut être dispensée oralement et complétée par un écrit mais qu’elle incombe à chaque professionnel de santé et ne peut être déléguée à un confrère prenant également en charge le patient ; que la charge de la preuve de l’exécution de cette obligation incombe au médecin qui peut toutefois rapporter cette preuve par tous moyens, notamment par présomptions ; qu’il ressort des opérations d’expertise, qu’aucune feuille d’information et de consentement éclairé n’a été signée par Mme X… pour l’intervention de 1998, alors qu’un document de consentement avait été signé en 1989 avant les séances d’embolisation ; que Mme X… affirme n’avoir jamais reçu aucune information de la part du Dr Y… qu’elle n’a, dit-elle rencontré qu’après l’intervention, et n’avoir eu aucune information du Dr B…sur le risque de perte de vision du fait du geste chirurgical sur le lobe occipital ; que le Dr Y… a prétendu lors des opérations d’expertise menées par le Pr Z…, avoir longuement discuté avec Mme X…, en présence du Dr B…des risques éventuels de l’intervention, mais que ses affirmations ne sont corroborées par aucun élément, à défaut notamment de compte rendus de consultations préalables à l’opération, et qu’elles sont, au surplus fort contestables puisqu’il indique avoir prévenu Mme X… qu’elle ne pouvait être aggravée sur le plan visuel par l’intervention dans la mesure où elle était déjà atteinte, selon lui, d’une hémianopsie latérale homonyme complète, alors que ce n’était pas le cas, ce que n’aurait pas manqué de lui dire l’intéressée si cette information erronée lui avait été donnée ; que le Dr B…quant à lui, a adressé à la patiente un courrier en date du 29 juin 1998 lui proposant l’intervention, sans en préciser les risques potentiels, la renvoyant à consulter le Dr Didier H…; que les médecins de la Fondation Rothschild ne peuvent ni se retrancher derrière l’information qui aurait été donnée par leurs confrères, ni invoquer les courriers échangés entre eux dont il n’est pas établi que Mme X… aurait eu connaissance ; que la réticence des professionnels de santé à informer pleinement la patiente sur son état de santé et sur les risques encourus ressort des mentions de certains des courriers échangés, notamment celui du Dr Didier H…au Dr B…du 18 février 1998 qui indique : « compte tenu du contexte psychoaffectif un peu particulier, je n’ai fait aucune déclaration à la patiente » ; que le fait que Mme X… ait été pleinement informée des risques du traitement par embolisation et les ait acceptés en 1989 ne permet pas de retenir qu’elle aurait été informée des risques propres à l’intervention en 1998 ; que force est donc de constater que les médecins de la Fondation Rothschild ne démontrent pas avoir pleinement rempli leur obligation d’information à l’égard de Mme X… ; que le défaut d’information est susceptible de priver le patient d’une chance d’échapper, par une décision plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé ; que le dommage réparable s’apprécie au regard des effets qu’une information exhaustive du patient auraient pu avoir sur son consentement et correspond à une fraction des différents chefs de préjudices subis déterminée en mesurant la chance perdue d’éviter le risque, la réparation intégrale n’étant admise que s’il était démontré que l’intéressé, dûment informé, aurait renoncé à l’acte médical, alors qu’aucune réparation n’est au contraire retenue lorsqu’il n’existe aucune alternative thérapeutique ; qu’en l’espèce il a été vu que Mme X… ayant été traitée par embolisation puis par radiothérapie et qu’à l’issue de ces traitements, il subsistait un résidu angiomateux non résorbable pour l’élimination duquel seule une exérèse chirurgicale était possible, à l’exclusion de toute alternative thérapeutique ; que Mme X…, suivie en cela par le tribunal, prétend qu’informée du risque d’aggravation de son état visuel, elle aurait opté pour une abstention thérapeutique, mais que cette affirmation est contredite par les éléments suivants :

– le risque hémorragique dépeint par les experts et qui lui aurait été nécessairement exposé par le chirurgien dans le cadre du bilan avantages/ risques était majeur et les risques d’une intervention étaient bien supérieurs aux risques de l’intervention,
– Mme X… était consciente des risques d’hémorragie cérébrale liés à l’existence de ce résidu angiomateux, son angoisse transparaissant dans le « contexte psychoaffectif » noté par le Dr Didier Martin en février 1998, et ne pouvait méconnaitre que son état visuel s’aggravait même si elle s’en accommodait en raison de la préservation de la vision centrale,
– Mme X… souffrait depuis des années de céphalées invalidantes et était soumise à des traitements contraignants en vue d’obtenir une guérison, guérison qu’elle appelait de ses voeux et qu’elle évoque d’ailleurs dans ses conclusions au titre des pertes de gains professionnels en indiquant qu’elle était à mi-temps dans toute la période précédant l’intervention en raison des traitements reçus mais qu’elle envisageait de reprendre à plein temps dès que son état serait stabilisé,
– Il ne peut être tiré argument du refus opposé par Mme X… en 1991 à l’intervention chirurgicale qui lui était proposée alors qu’il existait, à cette époque, une alternative thérapeutique consistant en une radiothérapie réalisée à Lille ;

Qu’il convient en conséquence de retenir que, compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique, des risques encourus en cas d’abstention thérapeutique et de l’évolution en aggravation de l’état visuel de Mme X…, le défaut d’information n’était pas de nature à lui faire perdre une chance de refuser l’intervention proposée ;

1°) ALORS QUE le médecin est tenu d’une obligation de fournir des soins attentifs et consciencieux conformes aux données acquises de la science ; que commet une faute le médecin qui se livre à l’amputation d’une partie du cerveau responsable de la vision, sans s’être préalablement renseigné sur l’état de cette fonction de sa patiente, et dans la croyance erronée de l’absence de risque lié à cette intervention sur la vision centrale compte tenu de la préexistence d’une hémianopsie homonyme complète (absence de vision centrale) quand en réalité, cette hémianopsie était incomplète et la vision centrale de la patiente était préservée ; qu’en qualifiant la croyance du Dr Y… à l’existence d’une hémianopsie homonyme complète de simple erreur, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;

2°) ALORS QUE le médecin est tenu d’une obligation de fournir des soins attentifs et consciencieux conformes aux données acquises de la science ; qu’en se bornant à énoncer que l’« erreur » du Dr Y… serait sans lien avec l’indication opératoire puisque la décision d’opérer pour procéder à l’exérèse totale de l’angiome résiduel a été prise au regard du risque hémorragique majeur que présentait Mme X… et que l’état visuel de la patiente ne pouvait que s’aggraver, sans s’expliquer ainsi qu’elle y était invitée sur le compte rendu opératoire du Dr Y… qui précisait lui-même que « du fait de l’existence d’une hémianopsie homonyme complète, on va faire en fait une amputation du lobe occipital pratiquement réglée ¿, on fait une exérèse monobloc de la malformation résiduelle », duquel il résultait clairement que l’indication opératoire et en tous les cas l’approche chirurgicale de la malformation avait été déterminée par la croyance fautive du médecin à l’existence d’une hémianopsie homonyme complète alors qu’elle était incomplète et que la vision centrale était préservée, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;

3°) ALORS QUE Mme X…, faisait valoir (conclusions p. 17) que l’atteinte fonctionnelle ne constituait pas un simple risque inhérent à l’intervention ou un aléa, mais bien plus, une suite normale incontournable de l’intervention et que les médecins savaient que son champ visuel serait nécessairement totalement hypothéqué par une telle intervention, mais qu’ils ont jugé qu’ils pouvaient la pratiquer parce qu’ils croyaient par erreur, ainsi que l’a d’ailleurs admis l’arrêt attaqué, que son champ visuel était déjà atteint de manière complète ; que l’arrêt attaqué constate lui-même expressément (arrêt p. 7 dernier §) que selon l’expert A…« la seule technique consiste donc à faire le tour de l’angiome en passant au contact de la malformation mais dans le parenchyme cérébral. Ceci provoque forcément des troubles neurologiques en fonction du rôle du cerveau dont l’ablation est faite. En ce qui concerne Mme X…, il s’agissait d’une aggravation de son champ visuel » ; que dès lors en statuant comme elle l’a fait sur le fondement de la réalisation d’un aléa thérapeutique, sans rechercher si la perte de la vision centrale ne constituait pas bien plus qu’un risque, une conséquence certaine de l’acte médical envisagé, et en s’abstenant dès lors d’apprécier la faute des médecins et la perte d’une chance de refuser l’intervention à la lumière de cette certitude du dommage qui devait en résulter, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;

4°) ALORS QUE hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et il n’est pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait qu’il n’existerait pas d’autre alternative thérapeutique ; que dès lors ni la responsabilité du médecin, ni la perte d’une chance de refuser l’intervention ne peuvent être exclues en conséquence de l’absence d’alternative thérapeutique ; qu’en affirmant qu’aucune réparation ne pourrait être retenue en cas de manquement du médecin à son obligation d’information lorsqu’il n’existe aucune alternative thérapeutique la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;

5°) ALORS QUE hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et il n’est pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait que l’intervention serait médicalement nécessaire ; que dès lors ni la responsabilité du médecin, ni la perte d’une chance de refuser l’intervention ne peuvent être exclues sur le fondement du caractère nécessaire de l’intervention ; qu’en se fondant pour exclure toute réparation, sur la circonstance que l’intervention était nécessaire compte tenu des risques encourus en cas d’abstention thérapeutique, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;

6°) ALORS QUE le praticien qui manque à son obligation d’informer son patient des risques graves inhérents à un acte médical d’investigations ou de soins prive ce dernier de la possibilité de donner un consentement ou un refus éclairé à cet acte ; qu’en se fondant pour exclure la perte d’une chance de refuser l’intervention sur le risque majeur d’une hémorragie cérébrale susceptible d’entraîner une issue fatale ou une lésion séquellaire sur le plan neurologique en cas d’abstention thérapeutique, sans s’expliquer ainsi qu’elle y était invitée par Mme X… (conclusions p. 17), sur la circonstance qu’elle était restée sans soin visant à l’éradication de l’angiome pendant trois ans à l’issue des embolisations et de nouveau pendant trois ans à l’issue de la radiothérapie, ce dont il résulte que les risques liés à l’angiome puis au résidu angiomateux restant après la radiothérapie n’étaient pas considérés comme des risques majeurs par les médecins qui la suivaient, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de Mme X… tendant à voir condamner la Fondation Rothschild in solidum avec la SCHAM à réparer le préjudice moral résultant des fautes commises par les médecins en période post-opératoire ;

ALORS QUE Mme X… faisait valoir (conclusions p. 23 et 24) que paniquée à son réveil de se trouver quasi aveugle, elle n’a à aucun moment été prise au sérieux, qu’elle a même été prise pour une folle agitée qu’il convenait de calmer, qu’elle avait dû attendre 6 jours après l’intervention pour bénéficier d’un examen ophtalmologique, que le docteur Y… a par la suite refusé de la recevoir et personne ne s’est préoccupé de son état psychique à la suite de l’atteinte qu’elle avait subie, qu’il n’y a aucune trace d’une visite des médecins postérieure à la période de réanimation et que l’établissement niant le préjudice de sa patiente n’avait préconisé aucun soin, aucune rééducation de la vision résiduelle ni prise en charge psychologique ; qu’elle sollicitait la réparation du préjudice moral qui est résulté pour elle de ce comportement post-opératoire fautif (conclusions p. 38) ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans aucun motif de nature à justifier le rejet de cette demande, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.

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ECLI:FR:CCASS:2015:C100240

Analyse

Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 13 décembre 2013

Source : Légifrance

 

usine amiante

Amiante : prise en charge au titre des maladies professionnelles

La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 avril 2015, (pourvoi n° 14-15165) précise que le tableau n°30 B des maladies professionnelles relatif aux affections professionnelles consécutives à l’inhalation des poussières d’amiante désigne comme maladie les lésions pleurales bénignes avec ou sans modifications des explorations fonctionnelles.

La Caisse de sécurité sociale avait fait un pourvoi au motif que le texte précise des plaques pleurales au pluriel.

La Cour rejette le pourvoi au motif que l’intéressé avait développé une plaque liée à l’amiante et que le texte du tableau n° 30 B précisant des plaques au pluriel devait être interprété comme un terme générique.

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel qui en a donc exactement déduit que l’intéressé devait bénéficier d’une prise en charge au titre de la pathologie inscrit au tableau.

 

Références

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 2 avril 2015
N° de pourvoi: 14-15165
Publié au bulletin Rejet

Mme Flise (président), président
Me Foussard, avocat(s)


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Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à la caisse primaire d’assurance maladie de la Charente du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 6 février 2014), que M. Z…, ancien salarié de l’entreprise Leroy-Somer entre 1973 et 2010, a souscrit le 3 juin 2010 une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 B ; que la caisse primaire d’assurance maladie de la Charente (la caisse) ayant rejeté sa demande au motif qu’il ne présentait pas une pathologie correspondant à l’affection prévue par ce tableau, l’intéressé a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que la caisse fait grief à l’arrêt d’accueillir ce recours, alors, selon le moyen :

1°/ qu’il appartient au juge et à lui seul, de trancher les questions d’ordre juridique que suscite le litige ; qu’en se bornant, en l’espèce, pour déterminer le sens de l’une des hypothèses visée par le tableau 30B des maladies professionnelles, entériner l’avis d’un tiers, fut-il conseiller en maladies professionnelles du ministère du travail, les juges du fond, qui ont délégué leurs pouvoirs, ont violé les articles 4 du code civil, 12 et 232 du code de procédure civile ;

2°/ que lorsque le texte est clair, il doit être appliqué tel qu’il a été écrit, sans que son champ d’application ou que ses effets puissent être étendus à la faveur d’une interprétation ; qu’en l’espèce, le tableau n° 30 B des maladies professionnelles exigeait la constatation de « plaques pleurales » au pluriel ; que le libellé du texte exigeant que deux plaques pleurales soient constatées au moins, les juges du fond ne pouvaient, sous couvert d’interprétation, considérer qu’une plaque pleurale suffisait à déclencher la présomption ; qu’en décidant le contraire, sous prétexte d’interprétation, quand le texte était clair, les juges du fond ont violé l’article 12 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en considérant qu’une seule plaque pleurale suffisait, quand le texte exigeait, usant du pluriel, deux plaques pleurales au moins, les juges du fond ont à tout le moins violé les dispositions du tableau n° 30 B des maladies professionnelles ;

Mais attendu que le tableau n° 30 B des maladies professionnelles relatif aux affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante, désigne comme maladie les lésions pleurales bénignes avec ou sans modifications des explorations fonctionnelles respiratoires ; qu’il en résulte que dès lors qu’est constatée la présence d’une plaque pleurale, les conditions relatives à la désignation de la maladie sont remplies, peu important l’emploi du pluriel qui renvoie à une désignation générique de ces lésions ;

Et attendu qu’ayant constaté que l’intéressé avait développé une plaque pleurale liée à une exposition professionnelle à l’amiante, la cour d’appel, sans déléguer ses pouvoirs ni méconnaître le sens des dispositions applicables, en a exactement déduit que ce dernier pouvait bénéficier d’une prise en charge de sa pathologie au titre du tableau sus mentionné ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de la Charente aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d’assurance maladie de la Charente ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d’assurance maladie de la Charente.

L’arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU’il a, infirmant la décision de recours amiable, décidé que l’affection de Monsieur Francis Z… devait être prise en charge au titre de la présomption découlant du tableau n° 30B des maladies professionnelles ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « le tableau 30 des maladies professionnelles qui énumère les affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante prévoit à la section B des « lésions pleurales bénignes : avec ou sans modifications des explorations fonctionnelles respiratoires : plaques calcifiées ou non péricardiques ou pleurales, unilatérales ou bilatérales, lorsqu’elles sont confirmées par un examen » ; que ce tableau prévoit un délai de prise en charge de la maladie et liste les travaux susceptibles de provoquer la maladie ; que le tableau 30B ne prévoit pas de condition de prise en charge relative à la gravité de la pathologie ; que le docteur Lucien X…, membre du conseil de l’ordre des médecins, ancien conseiller en maladies professionnelles au ministère du travail, a émis un avis le 1er juillet 2008 selon lequel « si effectivement le terme de « plaques » est au pluriel, c’est un terme général impliquant que leur dénombrement commence à 1 et il n’est nullement indiqué qu’il faut que la victime présente au-moins deux plaques pleurales. (¿) Dès lors, une seule plaque pleurale suffit à caractériser la maladie » ; que dans la mesure où il est démontré que M. Z… a développé une plaque pleurale liée à une exposition professionnelle à l’amiante, prévue au tableau 30B des maladies professionnelles, qui bien que mentionnant au pluriel l’existence de plaques pleurales, ne pose aucune condition de gravité de celle-ci ni qu’elle soit accompagnée d’autre pathologie parenchymateuse pulmonaire, le seul constat médical de la présence d’une plaque pleurale suffit pour permettre à M. Z… de bénéficier d’une prise en charge de la pathologie au titre de la législation professionnelle ; que la décision déférée sera en conséquence confirmée » (arrêt, p. 5 alinéas 2 à 5) ;

AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « que la commission de recours amiable dans sa décision du 15 avril 2011 a indiqué que la mention du tableau 30A est une simple erreur matérielle et que la demande de M. Z… a bien été examinée au regard des conditions du tableau 30B des maladies professionnelles ; qu’en effet, le médecin-conseil a indiqué dans son avis que Monsieur Z… n’est atteint que d’une plaque pleurale alors que le tableau 30B exige l’existence de plusieurs plaques pleurales ; que le docteur Y…dans son rapport d’expertise expose que l’étude attentive de l’imagerie présentée ne montre la présence que d’une plaque pleurale ce qui ne va pas dans le sens d’une localisation secondaire à la maladie du tableau 30B, la présence de plaques multiples étant retenue par la législation ; qu’il en conclut que Monsieur Z… n’est pas atteint de lésions pleurales entrant dans le cadre du tableau 30B des maladies professionnelles ; que le tableau 30B des maladies professionnelles désigne la maladie « lésions pleurales bénignes, plaques calcifiées ou non-péricardiques ou pleurales » ; que pour autant, il résulte d’un avis rendu par le docteur X…, ancien conseiller en maladies professionnelles du ministère du travail, le 1er juillet 2008 concernant un autre dossier que celui de Monsieur Z…, que si le terme de « plaque » est au pluriel, c’est un terme général impliquant que leur dénombrement commence à 1 et il est nulle part indiqué qu’il faut que la victime présente au-moins deux plaques pleurales ; qu’il ajoute qu’une seule plaque suffit à caractériser la maladie ; qu’il apparaît ainsi que le médecin-conseil de la caisse et le docteur Y…ont fait une interprétation erronée du tableau 30B car si le tableau vise en effet les plaques pleurales, il est nullement nécessaire que les plaques pleurales, dès lors qu’elles existent, soient multiples ou significatives ; qu’en conséquence, la présence d’une seule plaque pleurale correspond aux exigences du tableau 30B ; que cette analyse a été adoptée par la cour d’appel de RIOM dans un arrêt du 11 octobre 2011 ; que par suite, il est établi au vu des éléments médicaux concernant Monsieur Z… qu’il présente une affection décrite au tableau 30B des maladies professionnelles et il n’est pas nécessaire d’ordonner une nouvelle expertise médicale » (jugement, p. 3 alinéas 6 et suivants) ;

ALORS QUE, premièrement, il appartient au juge et à lui seul, de trancher les questions d’ordre juridique que suscite le litige ; qu’en se bornant, en l’espèce, pour déterminer le sens de l’une des hypothèses visée par le tableau 30B des maladies professionnelles, entériner l’avis d’un tiers, fut-il conseiller en maladies professionnelles du ministère du travail, les juges du fond, qui ont délégué leurs pouvoirs, ont violé les articles 4 du code civil, 12 et 232 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, deuxièmement, lorsque le texte est clair, il doit être appliqué tel qu’il a été écrit, sans que son champ d’application ou que ses effets puissent être étendus à la faveur d’une interprétation ; qu’en l’espèce, le tableau n° 30B des maladies professionnelles exigeait la constatation de « plaques pleurales » au pluriel ; que le libellé du texte exigeant que deux plaques pleurales soient constatées au moins, les juges du fond ne pouvaient, sous couvert d’interprétation, considérer qu’une plaque pleurale suffisait à déclencher la présomption ; qu’en décidant le contraire, sous prétexte d’interprétation, quand le texte était clair, les juges du fond ont violé l’article 12 du code de procédure civile ;

ET ALORS QUE, troisièmement, en considérant qu’une seule plaque pleurale suffisait, quand le texte exigeait, usant du pluriel, deux plaques pleurales au moins, les juges du fond ont à tout le moins violé les dispositions du tableau n° 30B des maladies professionnelles.

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ECLI:FR:CCASS:2015:C200553

Analyse

Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 6 février 2014

Source : Légifrance

travaux logement

Frais de logement adaptés

 

Frais de logement adaptés

 
Il appartient aux juges du fond d’examiner, dans leur appréciation souveraine, les éléments de preuve produits par la victime pour en déduire que les frais d’acquisition et d’aménagements de la maison exposés par elle étaient en relation directe avec l’accident et devaient être pris en charge en totalité par le responsable, indépendamment de l’économie réalisée par le non-paiement d’un loyer et de la réalisation d’un placement immobilier.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, l’appartement loué par la victime après son accident n’était pas adapté à son handicap.

Le caractère provisoire d’une location ne permettait pas de faire les aménagements nécessaires.

Aussi avait-elle dû acquérir un terrain et à y faire construire une maison comportant des aménagements motivés par ses séquelles physiques. Pour les juges, les factures concernant la maison étaient toutes justifiées par le handicap de la victime.

 

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 5 février 2015
N° de pourvoi: 14-16015
Non publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi

Mme Flise (président), président
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Gadiou et Chevallier, avocat(s)


Texte intégral

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X… a été victime en 2011 d’un accident de la circulation alors qu’elle était passagère d’un véhicule conduit par M. Y… ; qu’à la suite de l’annulation du contrat d’assurance liant celui-ci à son assureur, Mme X… a fait assigner en indemnisation de ses préjudices M. Y…, en présence du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) et de la caisse primaire d’assurance maladie du Tarn ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le FGAO fait grief à l’arrêt d’allouer à Mme X… une certaine somme au titre des frais de logement adapté, alors, selon le moyen, que l’indemnisation allouée à la victime doit réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que le préjudice lié aux frais de logement adapté, correspondant aux dépenses que la victime handicapée doit exposer pour bénéficier d’un habitat en adéquation avec son handicap, ne saurait être indemnisé sans tenir compte des sommes que la victime aurait de toute façon dû débourser pour se loger, si elle n’avait pas subi de handicap ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale, ensemble l’article 1382 du code civil et l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’appartement loué par Mme X… après l’accident, afin d’être indépendante et de ne plus habiter chez ses parents qui l’avaient hébergée jusque-là, n’était pas adapté au handicap causé par celui-ci ; que cet handicap avait rendu nécessaires des aménagements incompatibles avec le caractère provisoire d’une location ; que les conséquences dommageables de l’accident l’avaient contrainte à acquérir un terrain et à y faire construire une maison comportant des aménagements motivés par ses séquelles physiques ; que les factures concernant la maison étaient toutes justifiées par le handicap de Mme X… ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve produits aux débats, la cour d’appel a pu déduire que les frais d’acquisition et d’aménagements de la maison exposés par la victime étaient en relation directe avec l’accident et devaient être pris en charge en totalité par M. Y…, indépendamment de l’économie réalisée par le non-paiement d’un loyer et de la réalisation d’un placement immobilier ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles L. 421-1 III et R. 421-1 du code des assurances ;

Attendu, selon ces textes, que le FGAO paie les indemnités dues aux victimes ou à leurs ayants droit qui ne peuvent être prises en charge à aucun autre titre lorsque l’accident ouvre droit à réparation ; qu’en raison du caractère subsidiaire de cette mission le FGAO ne peut être condamné au paiement des dépens qui ne figurent pas au rang des charges qu’il est tenu d’assurer ;

Attendu que l’arrêt met les dépens d’appel à la charge du FGAO ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, en ses seules dispositions ayant mis les dépens d’appel à la charge du FGAO, l’arrêt rendu le 11 février 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Met les dépens d’appel à la charge de M. Y… ;

Condamne M. Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, par confirmation du jugement entrepris, alloué à Mme X… la somme de 335 786, 01 euros au titre des frais de logement adapté ;

Aux motifs propres que « l’auteur responsable d’une infraction est tenu de réparer intégralement les conséquences du dommage qu’il a causé à la victime, incluant les frais d’aménagement d’un logement adapté au handicap de la victime ; que les frais de logement adapté incluent non seulement l’aménagement du domicile mais aussi le surcoût découlant de l’acquisition d’un domicile mieux adapté au handicap ; que le principe de l’acquisition d’un logement est admis à condition qu’il existe un lien de causalité entre cette acquisition et l’accident ; que même en l’absence d’accident la victime aurait été dans l’obligation de se 1oger et elle est en droit de choisir son lieu de vie ; qu’en l’espèce Mademoiselle Virginie X… reste atteinte d’une tétraplégie sensitivo-motrice qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant et la Cour d’appel, dans son arrêt en date du 6 juin 2005 a condamné Monsieur David Y… à réparer intégralement son préjudice et a réservé le poste d’aménagement du logement de la victime, qui âgée de seulement 18 ans demeurait encore chez ses parents ; qu’il résulte des débats que Virginie X…, lorsqu’elle a souhaité vivre de façon indépendante, a loué un appartement qui n’était pas adapté à son handicap car il était situé au premier étage d’un immeuble sans ascenseur ne comportant aucun aménagement spécifique ; qu’il ne peut lui être reproché d’avoir voulu faire l’acquisition d’un terrain pour y faire construire une maison aménagée à son handicap alors que l’aménagement d’un appartement en location est soumis au bon vouloir du propriétaire et qu’il n’existe, nonobstant la législation, que très peu de logements aménagés sur te marché ; que les aménagements ne correspondraient pas nécessairement aux besoins spécifiques de Mademoiselle X… et qu’il s’agit d’un mode de logement précaire ; qu’il convient de faire droit à la demande de Virginie X… d’acquisition d’un terrain et de construction d’une maison, ce qui permet de lui assurer un logement pérenne avec un aménagement adapté à son handicap, cette demande étant en lien direct avec les conséquences dommageables de l’accident ; que Mademoiselle Virginie X… verse aux débats l’intégralité des factures concernant la maison qu’elle a fait construire et il n’y a pas lieu de recourir à une mesure d’expertise, la cour étant suffisamment informée sur l’importance et la nature des travaux ; que le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime est, comme l’a justement souligné le premier juge, indépendant de l’économie réalisée par le non-paiement d’un loyer et de la réalisation d’un placement immobilier » (arrêt attaqué, p. 4, § 6 à p. 5, § 4) ;

Et aux motifs réputés adoptés du premier juge que « l’indemnisation de la victime d’un fait dommageable repose sur le principe de la réparation intégrale des dommages causés ; que l’auteur d’un délit ou d’un quasi-délit est donc tenu à la réparation intégrale du dommage incluant les frais d’aménagement d’un logement adapté au handicap de la victime ; que cet aménagement du logement doit s’entendre de la mise en oeuvre des moyens permettant à la victime de se loger de manière adaptée en ce compris, le cas échéant, l’acquisition d’un bien immobilier ; que la prise en charge du coût de ces aménagements par le responsable est subordonnée à l’existence d’un lien de causalité direct avec le handicap de la victime ; que cette dernière doit ainsi démontrer que l’acquisition ou la construction d’un logement adapté a été rendu nécessaire du fait de son handicap, conséquence d’un fait dommageable ; qu’en l’espèce, ces principes doivent permettre à Mademoiselle Virginie X…, atteinte d’une tétraplégie sensitivo-motrice l’obligeant à se déplacer exclusivement en fauteuil roulant, de retrouver une autonomie comparable à celle dont elle bénéficiait antérieurement à l’accident ; que la Cour d’appel de Toulouse, dans son arrêt du 6 juin 2005, a reconnu Monsieur David Y… civilement responsable et l’a condamné à réparer intégralement le préjudice subi par la demanderesse, en ce compris les aménagements nécessaires de son logement ; que cette décision a réservé les droits de la victime sur ce poste de préjudice en raison de sa situation personnelle au moment où elle a statué : Mademoiselle Virginie X… a été victime d’un accident de la circulation alors qu’elle était âgée de 18 ans et qu’elle était encore hébergée chez ses parents ; qu’il ressort des attestations produites par la demanderesse, notamment celles de Messieurs Frédéric Z…, Raymond A… et Olivier B…, qu’antérieurement à l’acquisition de son logement actuel, elle résidait dans un appartement non adapté à son lourd handicap puisque situé notamment au premier étage d’un immeuble sans ascenseur ; que ce logement était également occupé en vertu d’un contrat de location ; qu’il ne saurait dès lors lui être reproché d’avoir souhaité acquérir un terrain sur lequel elle a fait construire un immeuble aménagé à son handicap alors que l’aménagement d’un immeuble en location est soumis au bon vouloir du propriétaire, doit être renouvelé à chaque changement de résidence et est, de ce fait, précaire ; qu’il résulte de ce qui précède que l’usage d’un fauteuil roulant et l’impossibilité d’aménager de façon pérenne le logement loué ont rendu nécessaires le changement de domicile, l’acquisition et la construction par Mademoiselle Virginie X… de son logement actuel ; qu’il convient en conséquence d’accueillir la demande d’indemnisation formée par Mademoiselle Virginie X… au titre de l’acquisition et la construction de son immeuble adapté à son handicap ; que le juge peut ordonner une expertise, lorsque des éclaircissements lui sont nécessaires pour trancher un litige ; qu’en l’espèce, vu les pièces versées aux débats par Mademoiselle Virginie X…, le Tribunal dispose de tous les éléments nécessaires à l’évaluation du préjudice qu’elle a subi ; que par conséquent, il convient de rejeter la demande d’expertise formulée par le fonds de garantie ; qu’en outre, le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime est indépendant à la fois de l’économie réalisée par le non-paiement d’un loyer et de la réalisation d’un placement immobilier ; que par ailleurs, l’indemnisation du préjudice économique ou de la perte de revenus est également distincte de celle liée à l’aménagement du logement ; que cette indemnisation vise uniquement à compenser la perte subie par la victime en raison de son préjudice ; qu’elle ne peut donc être minorée en raison des considérations sus mentionnées ; que la prise en charge du coût de l’acquisition et de l’aménagement du logement doit donc entièrement peser sur le responsable ; qu’en l’espèce, la seule contestation du fonds de garantie porte sur le principe de l’entière indemnisation et non sur le montant ni l’étendue des travaux réalisés rendus nécessaires au regard du handicap de la demanderesse ; qu’or, le principe de l’indemnisation du logement adapté est acquis à Mademoiselle Virginie X… ; qu’en outre, ni la construction de l’immeuble de la demanderesse rendue nécessaire du fait de son handicap, ni le fait que la victime ne paye plus de loyers à vie du fait de son accession à la propriété ne sauraient justifier une diminution de cette indemnisation ; qu’il ressort de l’acte d’acquisition du terrain et des diverses factures produites que le montant de l’indemnisation se décompose comme suit :
-67 000 euros au titre de l’acquisition du terrain,
-71 456, 25 euros au titre de la construction du logement adapté au handicap de la blessée,
-86 019, 50 euros au titre des aménagements extérieurs,
– et 111 310, 26 euros au titre des aménagements intérieurs,
soit une somme totale de 335 786, 01 euros ; qu’il convient en conséquence de condamner Monsieur David Y…, reconnu civilement responsable par la Cour d’appel de TOULOUSE dans son arrêt du 6 juin 2005, à indemniser le préjudice subi par Mademoiselle Virginie X… à hauteur de ce montant ; que le présent jugement sera déclaré opposable au fonds de garantie » (jugement entrepris, p. 6, § 4 à p. 8, § 7) ;

Alors que l’indemnisation allouée à la victime doit réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que le préjudice lié aux frais de logement adapté, correspondant aux dépenses que la victime handicapée doit exposer pour bénéficier d’un habitat en adéquation avec son handicap, ne saurait être indemnisé sans tenir compte des sommes que la victime aurait de toute façon dû débourser pour se loger, si elle n’avait pas subi de handicap ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale, ensemble l’article 1382 du code civil et l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages aux dépens d’appel ;

Alors que seules peuvent être prises en charge par le FGAO les indemnités dues aux victimes d’accidents de la circulation ; que les dépens ne figurent pas au rang des charges que le FGAO peut être tenu d’assurer ; qu’en condamnant le Fonds de garantie aux dépens d’appel, la cour d’appel a violé les articles L. 421-1 et R. 421-1 du code des assurances.

 


ECLI:FR:CCASS:2015:C200176

Analyse

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse , du 11 février 2014

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Source : Légifrance

accident-travail

Compétence de la CIVI pour un accident du travail

Les victimes (ou leurs ayants droit) de certaines infractions n’ayant pas pu obtenir réparation de leurs préjudices, peuvent saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI), qui siège au sein de chacun de Tribunaux de Grande Instance de France.

L’article 706-3 du Code de procédure pénale détermine les règles de compétence de la CIVI.

Toute victime de faits volontaires ou non, et présentant le caractère matériel d’une infraction pénale, peut être intégralement indemnisée du préjudice résultant des atteintes à la personne qu’elle a subi si ces faits :

  • ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail au moins égale à un mois,

ou

  • sont constitutifs de viol, d’agression sexuelle, d’atteinte sexuelle sur mineur ou de traîte des êtres humains, sans condition d’incapacité minimum.

Ces infractions ne doivent pas relever de procédures spécifiques d’indemnisation, ce qui concerne les victimes de l’amiante, d’actes de terrorisme, d’accident de la circulation ou d’accident de chasse.

L’indemnisation peut être réduite, voire refusée, en cas de faute de la victime.

Selon l’article 706-14 du code de procédure pénale, une indemnité partielle peut être accordée à la victime, si elle a subi :

  • un dommage corporel entraînant un arrêt de travail ou d’activité de moins d’un mois,
  • un vol, une escroquerie, un abus de confiance, une extorsion de fonds ou la détérioration d’un bien lui appartenant.

Pour cela, elle doit remplir les conditions suivantes :

  • ses ressources mensuelles doivent être inférieures au montant du plafond de l’aide juridictionnelle partielle augmenté en fonction du nombre de personnes à charges
  • l’indemnisation de son préjudice par ses assurances personnelles, sa mutuelle, sa sécurité sociale ou tout autre débiteur se révèle insuffisante ou impossible
  • les faits doivent avoir entraîné dans sa vie des troubles graves.

L’indemnisation, dans ce cas, est plafonnée à trois fois le plafond de ressources fixé pour l’attribution de l’aide juridictionnelle partielle.

Dans son arrêt du 5 février 2015, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la demande d’un salarié intérimaire victime d’un accident de travail (chute dans les escaliers) alors qu’il livrait un client.

Le salarié a saisi la CIVI en invoquant une infraction résultant du manquement du client aux règles de sécurité.

Il a sollicité de ladite commission une provision ainsi que la nomination d’un expert judiciaire.

La CIVI, puis la Cour d’appel rejettent sa demande au motif que l’accident en cause est un accident du travail.

La Cour d’appel retient que la demande d’indemnisation de la victime doit être fondée sur les  dispositions d’ordre public régissant les accidents du travail, et non sur les des dispositions régissant la CIVI.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au motif que les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infractions sont applicables aux victimes d’un accident du travail imputable à la faute d’un tiers.

Il faut retenir que la victime peut prétendre à une indemnisation de ses préjudices  servie par le biais du Fonds de garantie des victimes d’infractions dans le cadre des règles de la CIVI, en raison du fait que l’accident est survenu dans les locaux d’une société tierce qui a enfreint les règles de sécurité et de santé au travail.

La notion de faute imputable à un tiers apparaît prédominante dans ce cas précis d’accident du travail.

*

COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, 5 février 2015, n° 13-11945

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 451-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale et 706-3 du code de procédure pénale ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que le 4 juin 2008, M. X…, employé par la société Manpower et mis à la disposition de la société Euromil Nord, a effectué une chute dans les escaliers en procédant à une livraison chez un client de la société utilisatrice ; qu’invoquant une infraction résultant d’un manquement de ce client aux règles de sécurité, il a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pour obtenir le versement d’une indemnité provisionnelle et la désignation d’un expert ;

Lire la suite

Attendu que pour rejeter ces demandes, l’arrêt retient qu’à supposer établi que les faits reprochés par M. X… à la boulangerie cliente de l’entreprise utilisatrice présentent le caractère matériel d’une infraction, la cour d’appel ne peut que constater que l’accident en litige répond à la définition de l’accident du travail, en ce sens qu’il s’est produit dans l’un des lieux où s’est exercée la mission d’intérim ; qu’il s’ensuit que M. X… ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 706-3 du code de procédure pénale pour prétendre à une indemnisation ;

Qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infractions sont applicables aux victimes d’un accident du travail imputable à la faute d’un tiers, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 décembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions à payer à M. X… la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour M. X…

Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR confirmé l’ordonnance rendue le 24 octobre 2011 par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions du tribunal de grande instance de Reims en ce qu’elle avait débouté M. Cédric X… de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE certes, l’article 706-3 du code de procédure pénale dispose que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présente le caractère matériel d’une infraction peut obtenir, sous certaines conditions, la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne ; que cependant, il ressort de l’article L. 412-4 du code de la sécurité sociale que la victime d’un accident du travail doit en informer ou en faire informer l’utilisateur ; que ce dernier doit déclarer à l’entreprise de travail temporaire tout accident dont il a eu connaissance et dont a été victime un salarié mis à sa disposition par cette entreprise ; qu’est considéré comme lieu de travail tant le(s) lieu(x) où s’exerce la mission que le siège de l’entreprise temporaire ; qu’à supposer établi que les faits reprochés à la boulangerie cliente de la société utilisatrice présentent le caractère matériel d’une infraction, la cour ne peut que constater que l’accident litigieux est un accident du travail, au sens du texte précité, car il s’est produit dans l’un des lieux où s’est exercée la mission d’intérim ; que M. X… ne peut dès lors pas se prévaloir des dispositions de l’article L. 706-3 susvisées pour prétendre à une indemnisation servie par le biais du Fonds de garantie des victimes d’infractions, cette indemnisation, légitime, devant ainsi résulter de l’application des dispositions d’ordre public régissant les accidents du travail ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU’il est d’interprétation constante du droit que les dispositions légales d’ordre public sur la réparation des accidents du travail excluent les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infraction ; que la circonstance que l’accident subi soit survenu lors d’une mission d’intérim quand M. X… n’était pas salarié directement par la société EUROMIL, est sans incidence sur la qualification de l’accident du travail subi ;

1°/ ALORS QUE toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir, sous certaines conditions, la réparation intégrale résultant des atteintes à la personne ; qu’aux termes de l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, si la lésion dont est atteint l’assuré social est imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles de droit commun dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application du présent livre ; que les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infraction sont applicables, selon l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, aux victimes d’un accident du travail imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés ; que pour justifier le rejet de la demande présentée par M. X… devant la CIVI de Reims, la cour a retenu que dès lors que l’accident qu’il avait subi était un accident du travail, cette qualification excluait qu’il pût prétendre à une indemnisation servie par le biais du Fonds de garantie des victimes d’infractions ; qu’en se déterminant ainsi, la cour a violé les articles L. 412-4 du code de la sécurité sociale et 706-3 du code de procédure pénale ;

2°/ ALORS QUE les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infraction sont applicables, selon l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, aux victimes d’un accident du travail imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés ; que tel était le cas pour M. X…, dès lors que l’accident dont il a été victime est intervenu dans les locaux d’une société tierce, la société de la société EUROMIL, dont il n’était pas salarié, et à la charge de laquelle a été retenue une infraction aux règles de sécurité et de santé au travail ; que, pour exclure le droit de M. X…, victime d’un accident du travail, à présenter une demande d’indemnisation servie par le biais du Fonds de garantie des victimes d’infractions, la cour a retenu que, dans le cadre d’un travail temporaire, la victime d’un accident du travail doit en informer l’utilisateur, lequel doit déclarer cet accident à l’entreprise de travail temporaire, le lieu du travail étant le lieu où s’exerce la mission ; qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à justifier l’exclusion du droit de M. X…, la cour a violé derechef les articles L. 412-4 du code de la sécurité sociale et 706-3 du code de procédure pénale.

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main tendue

SOINS PALLIATIFS : peut mieux faire pour la Cour des comptes

 

La Cour des comptes a rendu public, le 11 février 2015, son rapport public annuel qui consacre dans son tome II un chapitre aux soins palliatifs. 

Le programme de santé publique incluait un axe Soins palliatifs 2008-2012 prévoyait 3 axes de développement :

  • Poursuite du développement de l’offre hospitalière et essor des dispositifs extrahospitaliers
  • Elaboration d’une politique de formation et de recherche
  • Accompagnement des proches

La Cour des comptes a souhaité savoir à quoi avait abouti ce plan.

Voici un résumé de son analyse.

 

I. Un accès aux soins palliatifs (SP) encore très insuffisant.

L’observatoire national de fin de vie (ONFV) a fait une estimation en 2011 de la population susceptible de bénéficier de SP.

Sur les 535 451 personnes décédées en 2008, 64 % sont décédées d’une maladie susceptible de bénéficier de ces soins, 67 % étant en hôpital, 59 % en EHPAD et 51 % à domicile.

En 2009, les hospitalisés en court séjour susceptibles d’en bénéficier furent 238 000 et seuls 78 000 ont en effectivement bénéficié. Ce taux a été porté à 135 000 en 2013.

Toutefois aux urgences, sur les 15 000 personnes susceptibles d’en bénéficier, seuls 7, 5 % en ont bénéficié alors que 2/3 sont entrés pour des pathologies à besoin de SP.

Le nombre de personnes en soins de suite et réadaptation avec des soins palliatifs sont passés de 32 000 en 2009 à 34 000 en 2013.

Quant aux hospitalisations à domicile (HAD), les personnes en bénéficiant sont passées de 22 800 en 2011 à 27 000 en 2013.

La Cour des comptes pointe la méconnaissance de la réalité de la prise en charge (PEC) par le défaut de données actualisées, fiables et complètes.

Ceci en fait traduit la difficulté française à faire des soins palliatifs une réelle priorité à la différence de ce que l’on a pu constater à l’étranger comme au Canada ou au Royaume-Uni où les modes de PEC en hôpitaux de jour ou en appartement thérapeutique se sont énormément développées et où volontaires et bénévoles sont fédérés dans un Conseil national des soins palliatifs.

II. Un développement prioritairement centré sur l’hôpital

Les dépenses de l’assurance maladie (AM) pour les soins palliatifs dans les établissements ont représenté près de 1, 6 milliard dont les ¾ en court séjour, 127 millions pour les équipes mobiles et 300 millions pour les soins en HAD

A/ Déploiement d’une PEC graduée

La prise en charge prévoit :

  • Des unités de soins palliatifs pour les demandes les plus complexes (USP)
  • Des lits identifiés de soins palliatifs (LISP) dans des services non consacrés à ce type de soins mais avec des moyens supplémentaires
  • Une prise en charge dans des lits non spécifiques.

A ces dispositifs, il faut rajouter les équipes mobiles qui interviennent dans les services internes des établissements à la demande des patients, de leur famille ou des personnels de santé.

60 % des USP et des LISP appartiennent au service public. Le service privé non lucratif représente 26 % des USP et 24 % des LISP tandis que le service privé lucratif ne représente que 12 % des USP et 16 % des LISP.

En ce qui concerne les USP, l’objectif du plan a été atteint avec une progression de 35 % entre 2007 et 2012 et une augmentation globale des lits en USP de 38 %.

La part des LISP a fait un bond de 65 % et les équipes mobiles ont progressé de 24 % (80 % appartiennent au service public).

Les SP en pédiatrie ont bien augmenté aussi. Alors qu’ils étaient centrés sur l’oncologie, ils se sont développés dans les situations de grande prématurité et polyhandicaps.

La formation reste peu développée. En France elle constitue une spécialité complémentaire quand elle est une spécialité à part entière au Royaume-Uni ou en Australie.

Les soins palliatifs sont beaucoup mieux intégré ans les formations des infirmières, en particulier depuis la mise en place de la réforme (LMD).

Quant aux études médicales, elles ne représentent que quelques heures dans leur formation mais se sont développé des Diplômes d’études spécialisées sur le sujet.

B/ Modalités de financement inégalement adaptées

La tarification de l’assurance maladie est incitative au développement des soins palliatifs en court séjour. Par contre leur absence de valorisation en moyen et long séjour est un obstacle à leur développement.

Pourtant on observe une augmentation des maladies chroniques en services de soins de suite et réadaptation (SSR) ou en unité de soins longue durée (USLD).

L’absence de mécanisme de financement spécifique empêche de faire une estimation fine des besoins et constitue un frein au développement de ces soins dans ce type de service.

C/ Persistance de fortes disparités territoriales

Si tous les CHU disposent d’USP, toutes les régions ne disposent pas de CHU et le nombre de lits en USP est très disparates selon les régions : 0 en Guyane et 5, 45 en Nord-Pas de Calais

Pour les LISP, il a été mesuré pour 100 000 habitants, une moyenne de 0 lits en Guyane et 18, 6 en Limousin.

En ce qui concerne les LISP, des régions sont plus chanceuses (Rhône-Alpes, Paris, Pays de la Loire, Midi-Pyrénées que d’autres (Aquitaine, PACA) et pour les USP, Paris, le Nord-Pas de Calais et l’Est sont mieux lotis que la Normandie, l’Auvergne ou le Sud.

Sur une échelle infrarégionales, on retrouve aussi des disparités importantes comme en Basse-Normandie entre l’Orne sous-doté en structure de SP par rapport au Calvados.

III. Une prise en charge extrahospitalière toujours à construire

Si la PEC dans les Etablissement de soins a bien progressé, les progrès restent très limités sur les lieux de vie (domicile, EPHAD, lieux accueillant les personnes en situation de handicaps)

A/ Des PEC à domicile à renforcer

  1. Mieux articler les interventions

Il existe une multiplicité d’intervenants dans les soins à domicile. Les médecins traitants ont un rôle pivot mais leur degré d’engagement varie beaucoup : les médecins formés et qui peuvent s’appuyés sur un réseau ou un structure d’HAD s’engage plus facilement.

Les réseaux de SP ont contribué aux développements des interventions à domicile. Mais si le programme 2008-2012 prévoyait la création de 50 nouveaux réseaux, l’objectif a été abandonné au profit d’une coordination intégrant la PEC de la douleur, la gérontologie et la cancérologie et les financements pour la création de ces nouveaux réseaux ont disparu dans l’enveloppe consacrée au financement des équipes mobiles au sein des hôpitaux.

Quant à la coordination des différents acteurs (HAD, Services des soins infirmiers à domicile, médecins traitants…), elle est déficiente.

Ainsi le parcours des personnes en fin de vie se traduit par de nombreux allers/retours entre le domicile et l’hôpital mais l’organisation de l’hospitalisation n’est pas adaptée avec un passage quasi obligé aux urgences ou une absence de préparation du retour mobilisant les différents intervenants.

 

  1. Faire du développement des SP à domicile un objectif des conventions entre l’assurance maladie et les professionnels de santé

Ainsi l’assurance maladie n’a pas mis en service le dispositif AM/Professionnels de santé libéraux.

Seule la majoration de coordination infirmière a été mise en place.

En fait les discussions ont plus portées sur les grandes thématiques de la Caisse au détriment des priorités gouvernementales et quand elles l’ont été, elles furent discutées profession par profession et non de façon interprofessionnelle.

B/ Un accès aux SP à développer dans les Etablissements médico-sociaux

Les SP en EPHAD se heurte au fait que ces structures sont faiblement médicalisées pour la plupart.

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a mené une expérimentation avec un recours à du temps infirmier de nuit.

Mais l’accès au SP pour les personnes en situation de handicap reste très inégal alors même que l’espérance de vie de ces personnes augmente et que des questions concernant les décisions de fins de vie se posent.

C/ Un faible soutien à l’entourage des malades

Les PEC palliatives à domicile sont difficiles : insuffisance de la disponibilité des familles, lourdeur de l’accompagnement, coût du maintien à domicile…

Une loi de 1999 a créé un Congé de solidarité familiale mais les décrets afférents n’ont été pris qu’en 2008. L’allocation journalière d’accompagnement des personnes en fin de vie, voulu par la loi Léonetti de 2005 n’a vu le jour qu’en 2010 et le nombre de bénéficiaires reste limité (1283 entre 2012 et 2014).

Le programme 2008-2012 a souhaité voir la création de Maison d’accompagnement pour prévenir l’épuisement des aidants familiaux. L’expérimentation prévoyait la création de 3 maisons mais le dispositif s’est révélé peu concluant par insuffisance de la médicalisation par rapport aux besoins.

Enfin le maintien à domicile peut coûter cher. Le programme 2008-2012 a permis le développement du financement par l’assurance maladie d’heure d’aide et de matériel à travers le Fonds national d’action sanitaire et sociale mais le mécanisme est limité, peu connu et donc peu mobilisé.

 

En conclusion,

dementia-479678_1280Des 3 priorités de santé publique du programme 2008-2012 (soins palliatifs, Alzheimer, cancérologie), les soins palliatifs est l’axe qui a le moins réussi à combler ses retards et les inégalités.

Il y a eu une bonne et forte progression dans les établissements de santé, mais la prise en charge à domicile et dans les Etablissements médico-sociaux reste déficiente.

Les professionnels de santé libéraux ne sont pas assez mobilisés. La vision des soins palliatifs reste centrée sur l’hôpital et le technique au détriment d’un accompagnement de proximité et le soutien des aidants est peu développé.

 

Source : Cour des comptes

bactérie

Infection nosocomiale et refus de soins : pas de diminution du droit à indemnisation

Dans une décision du 15 janvier dernier, la Cour de cassation déclare qu’on ne peut limiter la responsabilité d’un établissement de soin au motif que la victime a refusé les traitements proposés. Ces derniers ont été rendus nécessaires à cause de l’infection contractée engageant la responsabilité de l’établissement, ici une clinique.

En l’espèce, la victime avait subi 2 interventions et contracté une infection lors de la seconde. Elle avait refusé les traitements proposés et était sortie puis admise dans un autre établissement en raison d’une dégradation de sa santé.

La Cour d’appel avait limité la responsabilité de la clinique au motif que la victime avait refusé de se soumettre aux traitements proposés.

La Cour casse l’arrêt au visa des articles L. 1142-1 et L.1111-4 du Code de la santé publique : le refus de soin ne peut entraîner une diminution du droit à indemnisation.

 

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 15 janvier 2015
N° de pourvoi: 13-21180
Publié au bulletin Cassation partielle

Mme Batut (président), président
SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Richard, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)


 

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :



Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X…, qui avait subi deux interventions chirurgicales pratiquées à la Clinique Bel Air par M. Y…, urologue, a présenté, à la suite de la seconde, en date du 4 avril 2005, une hyperthermie indiquant un état infectieux, qu’ayant refusé tout traitement à compter du 7 avril, il a quitté l’établissement deux jours plus tard pour réintégrer son domicile, contre avis médical, que, son état s’étant aggravé, il a été admis, au mois de mai suivant, dans un autre établissement, où une septicémie par streptocoque a été diagnostiquée, avec des atteintes secondaires à l’épaule, au foie et au coeur qui ont nécessité plusieurs traitements, que M. X… a assigné en responsabilité la société Clinique chirurgicale Bel Air (la clinique) et M. Y… ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen pris en sa troisième branche :

Vu l’article 16-3 du code civil, ensemble les articles L. 1142-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique ;

Attendu que le refus d’une personne, victime d’une infection nosocomiale dont un établissement de santé a été reconnu responsable en vertu du deuxième de ces textes, de se soumettre à des traitements médicaux, qui, selon le troisième, ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant de l’infection ;

Lire la suite



Attendu que pour limiter la responsabilité de la clinique aux conséquences de l’infection nosocomiale contractée par M. X… si elle avait été « normalement traitée », l’arrêt relève d’abord que si, selon l’expert, le patient, dépourvu de médecin traitant, n’avait pas refusé un transfert vers un autre établissement, quitté la clinique contre avis médical et, de retour chez lui, omis de consulter un autre médecin, une antibiothérapie adaptée au germe qui aurait pu être identifié par la poursuite des examens et analyses engagés lors de son séjour à la clinique et interrompus avant d’avoir abouti, aurait permis, dans un délai de quinze à trente jours, de résorber l’infection et d’éviter l’aggravation de son état ; que l’arrêt retient ensuite, distinguant entre réduction du dommage et évitement d’une situation d’aggravation, que les complications de l’infection initiale sont la conséquence du refus par ce patient, pendant plus d’un mois et en raison de ses convictions personnelles, de traitements qui ne revêtaient pas un caractère lourd et pénible ;

Qu’en statuant ainsi, en imputant l’aggravation de l’état de M. X… à son refus des traitements proposés, alors que ceux-ci n’avaient été rendus nécessaires que parce qu’il avait contracté une infection nosocomiale engageant la responsabilité de la clinique, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

Met M. Y… hors de cause, sur sa demande ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il limite la condamnation de la Clinique aux souffrances endurées, au déficit fonctionnel temporaire et à la perte de gains professionnels pour la seule période du 4 avril au 4 mai 2005, l’arrêt rendu le 10 avril 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;

Condamne la société Clinique chirurgicale Bel Air aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X….

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir limité la responsabilité de la clinique Bel-Air aux conséquences de l’infection nosocomiale contractée par M. Alain X… si elle avait été « normalement traitée » ;

AUX MOTIFS QU’en l’espèce, il n’y a ni imprévisibilité, ni caractère irrésistible établis concernant le développement d’un germe endogène lors d’une intervention chirurgicale invasive ; que par ailleurs même dans l’hypothèse où une faute serait prouvée à l’encontre du chirurgien, ceci ne constituerait pas une cause étrangère pour la clinique et n’aurait d’effet que dans les rapports entre la clinique et le chirurgien ; que la cause extérieure n’est pas davantage établie dans la mesure où elle s’entend comme un événement extérieur à l’activité de soins de l’établissement ; qu’il s’ensuit qu’est établie la responsabilité sans faute de la clinique Bel Air s’agissant d’une infection nosocomiale contractée dans l’établissement de soins à l’occasion de l’intervention chirurgicale du 4 avril 2005 ; ¿ ; que les préjudices imputables aux suites normales des soins nécessaires sont ceux d’une résection vésicale par voie endoscopique d’une lésion tumorale ; qu’il n’apparaît pas dans la symptomatologie présentée après l’intervention du 4 avril 2005 de complication ou de préjudice de nature urologique liés à ce geste chirurgical ; que l’expert a indiqué qu’en tenant compte de l’infection développée à la suite de l’intervention, normalement prise en charge immédiatement, celle-ci aurait entraîné une incapacité de travail de 30 jours et n’aurait pas généré de séquelles ; que cependant, il a précisé également que l’ensemble des différents préjudices subis par M. X… et dont il demande réparation, sont en lien direct et certain avec l’infection nosocomiale à point de départ urinaire ; que cette infection est une complication du geste chirurgical pratiqué le 4 avril 2005 par le Docteur Y… à la Clinique Bel Air ; qu’il s’agit d’un aléa thérapeutique ; que cette infection, suspectée dès le 4 avril ne sera bactériologiquement documentée que plus d’un mois plus tard par l’isolement d’une souche de Streptocoque du Groupe B suite aux prélèvements des 9 et 11 mai 2005 et au vu des hémocultures et urocultures, faits à la clinique mutualiste de Pessac ; qu’elle s’est compliquée d’un état septicémique à l’origine de trois localisations secondaires à l’épaule, au foie et au coeur ; que l’expert a procédé à l’évaluation du préjudice subi du fait de la totalité des conséquences de l’infection nosocomiale sans distinguer comme l’a fait le tribunal l’infection initiale et son aggravation, ce qui ne relevait pas de ses attributions ; mais qu’il s’est cependant prononcé sur les conséquences normales de ce type d’infection prise en charge dans les règles de l’art comme il a été rapporté précédemment ; que l’état infectieux de M. X… a été repéré avant sa sortie de la clinique, mais que son origine n’avait pas encore été déterminée ; que si M. X… n’était pas parti contre avis médical, refusant un transfert vers un autre établissement, n’ayant pas de médecin traitant et ne contactant personne à son retour chez lui, selon l’expert, une antibiothérapie adaptée au germe qui aurait pu être identifié par la poursuite des examens et analyses engagés lors de son séjour à la clinique Bel Air et interrompus avant d’avoir abouti en raison du départ du patient contre avis médical, aurait permis, dans un délai de 15 à 30 jours maximum de résorber l’infection et donc d’éviter l’aggravation de son état et notamment les localisations secondaires ayant atteint l’épaule, le foie et le coeur ; ¿ ; que le refus de soins du patient est légitime, la loi prévoyant le respect de sa volonté ; mais que dans les circonstances décrites au regard du processus infectieux dont M. X… se plaint, ce refus est à l’origine de son préjudice en aggravation ; qu’il ne peut en tenir l’établissement de santé responsable, même dans le cadre d’une responsabilité sans faute s’agissant d’une infection nosocomiale ; qu’en effet il est établi que l’attitude de M. X…, sous-tendue par ses convictions personnelles sur les médecines naturelles, est indéniablement à l’origine de son refus de soins et par voie de conséquence du retard à la mise en oeuvre d’une thérapeutique adaptée, laquelle appliquée dans les suites immédiates de l’intervention du 4 avril 2005 aurait permis d’éviter les complications infectieuses secondaires ; que l’attitude de M. X… est caractérisée par les éléments suivants dont il a pris la responsabilité étant souligné qu’il est un professionnel de santé étant, kinésithérapeute en exercice au moment des faits : refus de l’antibiothérapie à la Clinique Bel Air à compter du 7 avril 2005, sortie de la Clinique Bel Air en dépit d’un état fébrile et contre avis médical après signature d’une décharge explicite le 8 avril, absence totale de suivi médical pendant près d’un mois malgré des signes cliniques avérés, consultation au bout de 15 jours d’un médecin homéopathe et prise d’un traitement homéopathique, départ en séjour de repos sans aucun autre traitement pendant une dizaine de jours du 27/28 avril au 9 mai 2005 avant sa ré-hospitalisation en urgence dans un état critique le 9 mai 2005 à la clinique mutualiste, alors qu’il avait connaissance des résultats alarmants des examens ordonnés par le docteur Z… le 23 avril 2005 ; que si M. X… était resté à la clinique Bel Air ou avait accepté une hospitalisation dans un autre établissement de soins, comme cela lui a été proposé par le Dr. Y…, en raison de la perte de confiance avec le Dr A… anesthésiste et avec les infirmières, son infection aurait été identifiée plus vite ; que soignée immédiatement de façon appropriée elle se serait résorbée sans la survenance des complications dues à la fixation du germe sur l’épaule, le foie et le coeur ; que cette extension du streptocoque est due à ce que la thérapeutique adaptée n’a pu être mise en oeuvre que plus d’un mois après le début de l’infection, en raison du refus de M. X… de poursuivre les investigations et soins en cours ; qu’il y a lieu de distinguer entre réduction du dommage et évitement d’une situation d’aggravation du dommage ; que le refus de soins de Monsieur X… devant être considéré comme une négligence au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, dès lors que les soins qu’il a refusés n’avaient pas un caractère lourd et pénible pouvant justifier qu’il ne choisisse de s’y soustraire ; qu’en effet il ne s’agissait au moment de son hospitalisation à la clinique Bel Air et dans les suites de l’opération du 4 avril 2005 que d’attendre le résultat probant d’identification du germe infectieux par la poursuite de l’hospitalisation et des analyses biologiques en cours et la mise en place d’un traitement antibiotique adapté ; que pendant le cours même de son séjour à la clinique Bel Air, il a refusé dans un premier temps une deuxième injection de Venofer dès le 6 avril 2005 et le Iendemain, 7 avril, il a refusé l’administration des antibiotiques ; qu’il apparaît donc clairement qu’en raison de convictions personnelles M. X…, préférant les médecines naturelles, bien qu’informé des conséquences de son choix, en présence d’un état infectieux dont le germe n’était pas encore déterminé, a pris le risque de voir aggraver sa pathologie avec toutes les conséquences dommageables pour lui qui en sont découlées ; que c’est en raison de ce contexte et de ces circonstances particulières et eu égard à la capacité de compréhension de l’appelant à raison de sa qualification professionnelle que ne peuvent dès lors être réparées comme imputables à l’infection nosocomiale contractée à la clinique Bel Air que les suites normales de celle-ci sans les complications liées au retard de la mise en oeuvre du traitement adapté ; qu’en effet les complications ne sont imputables ni à la clinique Bel Air au titre de sa responsabilité sans faute, encore moins au Dr Y… à l’encontre duquel n’a été établie aucune faute dans le suivi post-opératoire, dans la mesure où ils n’ont pas été en capacité de poursuivre les soins et investigations en cours pour identifier l’origine de l’état infectieux ; que ces complications résultant de l’absence de traitement de l’infection pendant plus d’un mois sont en lien avec l’attitude de l’appelant constitutive de négligence, étant encore souligné qu’en tant que professionnel de la santé il était en mesure de comprendre les informations données sur son état de santé et les risques encourus et par voie de conséquence la portée de sa décision ; qu’il s’ensuit que M. X… ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du préjudice résultant de l’infection nosocomiale normalement traitée dans les suites de l’intervention du 4 avril 2005 à la clinique Bel Air ; que celle-ci sera, dès lors, condamnée à n’indemniser que cette partie du préjudice de M. X… ;

ALORS, D’UNE PART, QU’ en vertu de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, les établissements de soin sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales survenus en leur sein, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ; que selon les constatations de la Cour d’appel, la clinique Bel Air était, en l’absence de toute cause étrangère, responsable de l’infection nosocomiale de M. X… ; que dès lors, il résulte du texte précité qu’elle était responsable de l’intégralité des dommages résultant de cette infection nosocomiale ; qu’en décidant qu’une faute de négligence de la victime ¿ ne présentant aucun des caractères de la force majeure – pouvait néanmoins conduire à écarter cette responsabilité s’agissant des dommages consécutifs à l’aggravation de l’infection nosocomiale, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences préjudiciables et la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt de celui-ci ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a reproché à M. X… d’avoir refusé de suivre les préconisations médicales qui lui auraient permis de limiter son préjudice et a, en conséquence, décidé de limiter l’indemnisation allouée aux seuls préjudices qu’il aurait subis s’il avait accepté de se conformer aux recommandations médicales ; qu’en statuant ainsi, alors que M. X… n’était pas tenu de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable et qu’il pouvait prétendre à l’intégralité de la réparation de celui-ci, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article 1382 du Code civil ;

ALORS, EGALEMENT, QUE le refus d’une personne, victime d’une infection nosocomiale, de se soumettre aux traitements médicaux préconisés, dès lors qu’elle n’a pas l’obligation de les suivre, ne peut entraîner ni la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité du préjudice subi à ce titre, ni la prise en compte d’une aggravation susceptible de découler d’un tel choix ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 1142-1 du Code de la santé public, 16-3 et 1147 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir jugé que le Dr. Y… n’avait commis aucune faute à l’occasion de l’intervention pratiquée le 4 avril 2005 ainsi que dans le suivi post-opératoire de M. Alain X… et d’avoir en conséquence débouté ce dernier de ses demandes à l’égard du Dr Y… ;

AUX MOTIFS QUE l’expert reproche au Dr Y… de ne pas avoir remis à M. X… pour son médecin traitant, un compte rendu opératoire détaillé et des informations sur son état fébrile et l’infection à suivre, tout en constatant qu’il n’avait pas de médecin traitant ; qu’il indique néanmoins que le Dr Y… aurait dû faire une telle lettre sans en-tête, puisque M. X… n’avait pas alors de médecin traitant, lettre que ce dernier aurait pu remettre dès sa décision de consulter un médecin ; ¿ ; qu’il n’est pas soutenu par M. X… que le docteur Y… ait manqué à son devoir d’information ni que M. X… n’ait pas compris la portée des informations complètes qui lui ont été données que ce soit avant pendant ou après l’intervention chirurgicale du 4 avril 2005 ; qu’il est établi que M. X… n’a donné aucune coordonnée de médecin traitant, ni lors de son admission à la clinique Bel Air ni lors de sa sortie contre avis médical ; qu’il ressort du dossier que M. X… a signé la veille de sa sortie l’attestation suivante : “Je soussigné Monsieur X… Alain, hospitalisé dans l’établissement, reconnaît avoir été informé que: * mon état de santé nécessite un maintien de mon séjour * mon état de santé nécessite des soins Mais décide, en toute connaissance de cause: * de vouloir interrompre mon séjour Fait à Bordeaux le 8 avril 2005 ” ; que lors de sa sortie contre avis médical le 9 avril 2005, le Dr Y… après avoir tenté de convaincre M. X… de rester hospitalisé ou d’être transféré dans un autre établissement de soins, lui a remis directement tous les éléments médicaux relatifs à l’intervention chirurgicale et à ses suites c’est à dire les résultats d’analyse démontrant l’existence d’un état infectieux, dont l’origine n’était pas encore identifiée, se traduisant par une hypothermie persistante ; qu’il lui a remis également une ordonnance pour la poursuite du traitement antibiotique pendant 15 jours ; que le reproche fait par M. X… au Dr Y… d’une prescription d’antibiotique inadaptée à son état à partir du 4 avril 2005, la Neuroxine n’ayant pas effet curatif sur le streptocoque B est infondé car le germe dont il était infecté était en cours de recherche à l’époque et il lui a été administré une antibiothérapie probabiliste dans l’attente de l’identification du germe, laquelle n’a pas pu se faire en raison du refus et du départ du patient ; qu’il ne ressort pas des textes précités que le Dr Y… avait l’obligation de remettre une note à M. X… qui n’avait pas de médecin traitant ; qu’il s’ensuit qu’on ne peut donc pas faire grief au Dr Y… de n’avoir pas remis à M. X… au moment de sa sortie contre avis médical le 9 avril 2005, une lettre pour son médecin traitant, dès lors que le patient n’avait pas de médecin traitant à ce moment là ; que dès que le Dr Y… a été informé par son patient, lors de la communication téléphonique du 26 avril 2005 de l’aggravation de son état et que ce dernier lui a communiqué le nom du Dr Z…, le Dr Y… a adressé dès le lendemain, le 27 avril 2005, un courrier détaillé au Dr Z… sur l’intervention pratiquée le 4 avril 2005 et sur ses suites ; ¿ ; que dès lors, il n’est rapporté la preuve d’aucune faute commise par le docteur Y… dans le suivi post-opératoire de son patient compte tenu de la position affirmée de M. X… de ne pas poursuivre l’hospitalisation et son absence de contact avec un médecin traitant à l’époque de sa sortie contre avis médical, le Dr Y… a fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer le suivi de M. X…, qui avait été informé de son état et des risques qu’il encourrait, information dont il était en mesure de comprendre la portée étant lui-même professionnel de la santé ; qu’il s’ensuit qu’à défaut de faute établie à son encontre, la responsabilité du Dr. Y… n’est pas engagée, qu’en conséquence aucune condamnation ne peut être mise à sa charge ;

ALORS, D’UNE PART, QUE M. X… faisait valoir à la page 7 de ses conclusions d’appel que le Dr. Y… avait commis une faute, relevée par l’expert à la page 23 du rapport d’expertise, en n’effectuant pas un nouveau contrôle bactériologique le 8 ou le 9 avril alors même que des indicateurs auraient dû l’y conduire en application des règles de l’art, à savoir une « très nette hyperleucocytose sanguine avec polynucléose » découverte le 7 avril et une « forte perturbation de la cytologie urinaire » le 8 avril ; qu’en omettant totalement de s’exprimer sur cette faute du praticien relevée par l’expert et invoquée par la victime, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE le médecin doit tout mettre en oeuvre pour convaincre son patient d’accepter les soins indispensables, au besoin en faisant appel à un autre membre du corps médical ; qu’ainsi que l’expert l’a relevé (rapport d’expertise p. 24) et que la victime le faisait valoir (conclusions d’appel p.8 et 9), le fait de ne pas lui remettre un compte rendu ou une lettre de sortie, synthèse médicale permettant d’assurer son suivi et ainsi faciliter une indispensable prise en charge médicale à sa sortie de la clinique constitue une faute professionnelle, même en l’absence de médecin traitant ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article L.1111-4 du Code de la santé publique.

 


ECLI:FR:CCASS:2015:C100026

Analyse

Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 10 avril 2013

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Source : Legifrance

cœur

Amiante: délai de prescription du préjudice d’anxiété

Les victimes de l’amiante sollicitent leur indemnisation généralement plusieurs années après leur départ de l’entreprise.

Se pose alors la problématique de la prescription de leur action.

Dans cet arrêt portant sur la réparation du préjudice d’anxiété subi par des salariés exposés à l’amiante, la Cour de cassation est venue préciser ce délai.

La Cour d’appel d’Aix en Provence avait rejeté les demandes des salariés au motif que “les demandes des salariés, compte tenu de la date de rupture des contrats de travail et de celle de la saisine de la juridiction prud’homale, resteraient néanmoins irrecevables par l’effet de la prescription, plus de trente ans s’étant écoulés entre ces deux dates.

Dans son arrêt du 19 novembre 2014 la Chambre sociale a rappelé que “les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer“.

Elle a ajouté que, les salariés n’ont eu connaissance du risque à l’origine de l’anxiété qu’à compter de l’arrêté ministériel ayant inscrit leur activité (en l’espèce une activité de réparation et de construction navale) sur la liste des bénéficiaires de l’ACAATA (Allocation de Cessation Anticipée d’Activité des Travailleurs de l’Amiante).

Dès lors, le délai de prescription quinquennal court au jour de l’arrêté ministériel, qui constitue le jour à compter duquel les salariés ont eu connaissance du risque pour leur santé que présentait leur activité professionnelle.

Cass. soc., 19 novembre 2014 -n° 13-19263

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° H 13-19.263 à T 13-29.273 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X… et dix autres salariés ont été employés sur le site de La Ciotat, sur des périodes allant de novembre 1965 à décembre 1978, par la société des Chantiers navals de La Ciotat (CNC) dont l’activité chantiers navals a été reprise le 3 novembre 1982 par la société les Chantiers du Nord et de la Méditerranée (ci-après Normed), nouveau nom de la société de Participations et de constructions navales ( SPCN) dans le cadre d’une cession partielle d’actif, l’apport étant placé sous le régime juridique des scissions ; que la Normed a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 1986, puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989 ; que par arrêté du 7 juillet 2000, l’activité de réparation et de construction navale de la Normed a été inscrite sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) au profit des salariés concernés pour la période comprise entre 1946 et 1989 ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale le 19 septembre 2011 d’une demande en réparation de leur préjudice d’anxiété et de bouleversement dans les conditions d’existence à l’encontre du liquidateur de la Normed et de l’AGS-CGEA ;

Lire la suite



Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu les articles L. 236-3, L. 236-20 et L. 236-22 du code de commerce ;

Attendu qu’il résulte de ces textes que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d’apport, l’apport partiel d’actif emporte lorsqu’il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d’activité qui fait l’objet de l’apport ;

Attendu que pour déclarer les salariés irrecevables en leurs demandes, les arrêts retiennent qu’il résulte de l’article 11 du traité d’apport partiel d’actif que la SPCN, devenue la Normed a repris sans recours contre la société apporteuse les obligations contractées par cette dernière en application des seuls contrats de travail transférés dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 132-7 du code du travail ; que les salariés ayant cessé leur activité antérieurement à 1982 n’ont jamais été salariés de la société Normed et que celle-ci n’a pas repris les obligations contractées par le précédent employeur dont les contrats de travail ne lui ont pas été transférés ;

Qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants tirés du transfert légal des contrats de travail en cours, sans qu’il résulte de ses constatations que l’obligation était étrangère à la branche d’activité apportée ou expressément exclue par le traité d’apport, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l’article 26-II de cette même loi et l’article 2224 du code civil ;

Attendu que les arrêts retiennent qu’en admettant que la Normed soit tenue de répondre des contrats de travail rompus antérieurement à 1982, les demandes des salariés, compte tenu de la date de rupture des contrats de travail et de celle de la saisine de la juridiction prud’homale, resteraient néanmoins irrecevables par l’effet de la prescription, plus de trente ans s’étant écoulés entre ces deux dates ;

Attendu cependant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que les salariés, bénéficiaires de l’ACAATA, avaient eu connaissance du risque à l’origine de l’anxiété à compter de l’arrêté ministériel ayant inscrit l’activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’ils rejettent l’exception d’incompétence, les arrêts rendus le 11 avril 2013, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société MJA, prise en la personne de Mme Y… ès qualités de mandataire judiciaire de la société Normed, aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société MJA, prise en la personne de Mme Y…, ès qualités, à payer aux salariés la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quatorze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X… et les dix autres demandeurs aux pourvois n° H 13-19.263 à T 13-29.273

Le moyen fait grief aux arrêts attaqués d’AVOIR déclaré irrecevables les demandes des salariés tendant à ce que soient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société LA NORMED des créances de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété et du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d’existence et à ce que les arrêts soient déclarés opposables à l’AGS-CGEA ;

AUX MOTIFS QUE il résulte de l’article 11 du traité d’apport partiel d’actif que la SPCN (devenue LA NORMED) avait repris, sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière pour les seuls contrats de travail transférés à la SPCN (devenue LA NORMED) dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 132-7 du code du travail alors applicables ; que les certificats de travail produits aux débats démontrent que les contrats de travail avaient définitivement pris fin entre 1969 et 1978 ; que dans ces conditions, LA NORMED n’avait pas pu poursuivre le contrat de travail rompu antérieurement à la reprise par elle de l’activité de la société CNC ; que les demandes dirigées contre LA NORMED s’avèrent dès lors irrecevables, cette dernière n’ayant jamais été l’employeur de cette dernière ; qu’au demeurant, en admettant que LA NORMED serait tenue, même en l’absence de clause de garantie du passif, de répondre des contrats de travail rompus antérieurement à 1982, il en résulterait, compte tenu, de la date de la rupture des contrats de travail et de celle de la saisine du conseil de prud’hommes, que les demandes dirigées contre LA NORMED resteraient néanmoins irrecevables par l’effet de la prescription, plus de trente ans s’étant écoulés entre ces deux dates ;

1/ ALORS QUE sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité de scission ou d’apport, en cas d’apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions, la transmission universelle des biens, droits et obligations rattachés à la branche d’activité apporté s’opère de plein droit, quand bien même, par suite d’une erreur, d’un oubli ou de toute autre cause, le bien, droit ou obligation ne figurerait pas dans le traité d’apport ; qu’en refusant de considérer que les obligations nées des contrats de travail conclus avec la société CNC et rompus avant la date de l’apport d’actif avaient été transmises de plein droit à la société SPCN, la cour d’appel a violé l’article L. 236-3 du code de commerce, ensemble l’article 1134 du code civil ;

2/ ALORS QUE, à tout le moins, en retenant que l’article 11, alinéa 1er, du traité d’apport partiel d’actif avait limité la transmission à la société bénéficiaire des droits et obligations nés des contrats de travail en cours à la date de réalisation de l’apport, quand cette clause n’était que le rappel de l’article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail alors applicable et le principe de transmission universelle de l’actif et du passif se rattachant à la division navale apportée était stipulé à l’article 1er du paragraphe II, la cour d’appel a dénaturé le sens clair et précis du traité d’apport partiel d’actif signé le 3 novembre 1982 ;

3/ ALORS QUE, enfin, que le délai de prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance ; qu’en retenant comme point de départ de ce délai la date de rupture du contrat de travail des salariés qui ne peut correspondre à la date à laquelle s’est réalisé le préjudice des salariés née d’une situation d’inquiétude permanente de développer une maladie liée à l’amiante, la cour d’appel a violé l’article 2262 du code civil.

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injection

Fin de vie et obligations légales du praticien : le Conseil d’Etat prend position

Le Président de la République Française a annoncé un débat imminent à l’Assemblée Nationale portant sur la révision de la loi Leonetti concernant la fin de vie des malades.

Deux parlementaires ont en effet formulé des propositions dont la mesure principale consiste en l’instauration d’un droit à une sédation profonde et continue.

Seraient concernés par cette sédation jusqu’à la mort, les malades qui en font la demande dès lors qu’ils sont incurables et conscients.

A cette sédation, serait associé l’arrêt des traitements maintenant en vie.

C’est dans ce contexte où les discussions parlementaires sur la fin de vie sont relancées qu’est intervenue une décision du Conseil d’Etat du 30 décembre 2014.

Un médecin d’Aquitaine a fait appel devant le conseil national de l’ordre des médecins suite à sa radiation du tableau de l’ordre des médecins par la chambre disciplinaire de première instance.

La chambre disciplinaire ayant rejeté l’appel formé, le médecin s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat afin de faire annuler la décision.

En l’espèce, il était reproché à ce praticien d’avoir délibérément provoqué la mort de plusieurs patients en leur ayant administré diverses substances à base de curare.

La haute juridiction a motivé sa décision en précisant que « si le législateur a, par ces dispositions, entendu que ne saurait être imputé à une faute du médecin le décès d’un patient survenu sous l’effet d’un traitement administré parce qu’il était le seul moyen de soulager ses souffrances, il n’a pas entendu autoriser un médecin à provoquer délibérément le décès d’un patient en fin de vie par l’administration d’une substance létale. »

La circonstance selon laquelle le médecin mis en cause avait agi dans le but de soulager la souffrance physique des patients, n’est pas, selon le Conseil d’Etat, de nature à enlever le caractère fautif aux actes commis.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle fermement les dispositions de l’article R.4127-38 du Code de la santé publique selon lequel « le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » et rejette par conséquent le pourvoi du praticien.

Il est intéressant d’observer que dans le cadre de sa défense ce dernier a fait valoir que règles de droit interne ne suffisent pas à assurer le respect du principe de dignité humaine et du droit fondamental de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.

De quoi alimenter le débat de cette rentrée 2015.

Marion HASSAIN

(Références arrêt: CE, 30 décembre 2014, n°381245)

Source : Conseil d’Etat

béquilles

Scolarisation des enfants handicapés

Dans un arrêt du 29 décembre 2014, Le Conseil d’Etat rappelle que le service public de l’Education garantit à tout enfant le droit à une éducation scolaire. Il incombe donc à l’Etat de prendre les mesures nécessaires lorsqu’il s’agit d’enfant handicapé.

La circonstance qu’aucune décision n’ait été prise par la commission des droits et de l’autonomie (MDPH) en raison d’un manque de place ne désengage pas l’Etat de sa responsabilité.
 

Conseil d’État

N° 371707   
ECLI:FR:CESJS:2014:371707.20141229
Inédit au recueil Lebon
4ème sous-section jugeant seule
M. Benjamin de Maillard, rapporteur
M. Rémi Keller, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats

lecture du lundi 29 décembre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


Texte intégral

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 28 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. E…A…demeurant … et Mme D…C…demeurant … ; M. A…et Mme C…demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 12VE01049 du 14 mai 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles, à la demande du ministre des solidarités et de la cohésion sociale, en premier lieu, a annulé le jugement n° 0813919 du 26 janvier 2012 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, à la demande de M. A…et Mme C…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leur fils mineur, B…, condamné l’Etat à leur verser, d’une part, une somme de 17 000 euros en réparation du préjudice subi résultant du défaut de scolarisation de leur fils, d’autre part, une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral causé de ce fait à ce dernier, en second lieu, a rejeté la requête de M. A…et Mme C… ;

Lire la suite

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Benjamin de Maillard, auditeur,

– les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de M. A…et de Mme C…;

1. Considérant qu’en vertu des dispositions des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation, le service public de l’éducation garantit le droit de tout enfant a une éducation scolaire ; qu’aux termes de l’article L. 112-1 du même code : ” Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l’éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l’Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école ou dans l’un des établissements mentionnés à l’article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence. Dans le cadre de son projet personnalisé, si ses besoins nécessitent qu’il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés, il peut être inscrit dans une autre école ou un autre établissement mentionné à l’article L. 351-1 par l’autorité administrative compétente, sur proposition de son établissement de référence et avec l’accord de ses parents ou de son représentant légal. (…) ” ; qu’en vertu des dispositions combinées des articles L. 351-1 et L. 351-2 du code de l’éducation, les enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans l’un des établissements scolaires publics ou sous contrat, le cas échéant dans l’un des établissements spécialisés désigné par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ; qu’aux termes des dispositions de l’article L. 146-9 du code de l’action sociales et des familles : ” Une commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées prend, sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire mentionnée à l’article L. 146-8, des souhaits exprimés par la personne handicapée ou son représentant légal dans son projet de vie et du plan de compensation proposé dans les conditions prévues aux articles L. 114-1 et L. 146-8, les décisions relatives à l’ensemble des droits de cette personne, notamment en matière d’attribution de prestations et d’orientation, conformément aux dispositions des articles L. 241-5 à L. 241-11.” ;

2. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions, d’une part, que, le droit à l’éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et, d’autre part, que l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation ; qu’il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ; que la carence de l’Etat est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l’administration puisse utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés, celles-ci n’ayant pas un tel objet ; que la seule circonstance que la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées n’a pas prononcé de décision d’orientation de l’enfant handicapé ne saurait décharger l’Etat de sa responsabilité, sans préjudice de la responsabilité d’autres organismes publics, dès lors que cette absence de décision résulte, non du manque de diligence des parents ou responsables légaux de l’enfant, mais de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ;

3. Considérant qu’il ressort du dossier soumis aux juge du fond que B…A…, né le 27 janvier 2000 et atteint d’un handicap mental, a été pris en charge au sein d’un jardin d’éveil puis, à raison de deux matinées par semaine, au sein d’une école maternelle communale, du mois de septembre 2005 à la rentrée scolaire de septembre 2007 ; que M. A…et MmeC…, ses parents, ont saisi la maison départementale des personnes handicapées du Val d’Oise afin d’obtenir une décision d’orientation de la commission des droits des personnes handicapées vers les établissements ou les services en mesure de l’accueillir, eu égard à ses besoins ; que, par courrier du 27 mars 2007, l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées du Val d’Oise a indiqué transmettre le dossier de B…A…à deux instituts médico-éducatifs du département ” pour étude et admission éventuelle ” ; que ces deux établissements ont informé M. A…et Mme C…que leur effectif était complet et qu’ils ne pouvaient scolariser leur enfant ; que, suite au refus de ces deux établissements, la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ne s’est pas prononcée sur l’orientation de B…A…, qui n’a pas été scolarisé à la rentrée scolaire 2007 ;

4. Considérant que, dès lors, en jugeant que la seule circonstance que la commission n’avait pas prononcé de décision d’orientation suffisait à établir que la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée du fait de l’absence de scolarisation de B…A…à compter du mois de mars 2007, alors que l’absence de décision de la commission résultait de l’insuffisance des structures d’accueil et non du manque de diligence de ses parents, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’analyser les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A…et Mme C…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 14 mai 2013 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 3 000 euros à M. A…et Mme C…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. E…A…, à Mme D…C…et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

prison

CEDH et conformité des délais de prescriptions

Dans un arrêt du 11 mars 2014, affaire Howald Moor et autres / Suisse  (n° 52067/10 et 41072/11), la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est penchée sur la compatibilité des délais de prescription et péremption avec l’article 6 §1 de la Convention.

Monsieur MOOR, citoyen suisse, avait été exposé à l’amiante de nombreuses années à compter de 1995 avant de décéder d’un cancer dû à ce produit. Il décéda en 2005 après avoir été indemnisé par la Caisse d’assurance maladie et après avoir lancé une action contre son employeur.

Sa veuve fit une demande d’indemnisation en tant que victime par ricochet la même année auprès de la Caisse d’assurance maladie suisse et les filles de M. MOOR continuèrent l’action engagée contre l’employeur.

Les deux affaires arrivèrent devant le Tribunal fédéral. Il jugea l’action de la veuve prescrite au motif que la loi impose un délai de dix ans à compter de l’acte qui a entraîné le dommage. Comme il était démontré que M. MOOR n’avait plus été exposé depuis 1995, l’action était prescrite en 2005. Pour l’action des filles de M. MOOR contre l’employeur, le Tribunal fédéral se basa sur la jurisprudence qui fait courir les créances de réparation à l’existence du fait dommageable et non sa connaissance. Or l’exposition à l’amiante était bien 10 ans.

Pour la CEDH, prescription et péremption constituent des limites au droit d’accès à un tribunal.

La limitation est possible si elle est légitime et proportionnelle au but visé mais elle ne doit pas rendre impossible le droit d’accéder au tribunal : délais trop court ou personne incapable de pouvoir agir ou action prescrite avant que la personne ait eu connaissance du fait et donc de son droit d’agir comme c’est le cas pour les maladies comme l’amiante où la maladie peut se révéler bien après l’exposition.

Il s’agit donc de faire une distinction entre les délais où le point de départ était connu du titulaire de l’action et les délais où le point de départ est inconnu du titulaire.

De même en cas de délai anormalement court, la question pourrait se poser au regard de cet arrêt. C’est le sentiment de certain concernant le délai de 3 ans dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux qui court à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage.

Pour plus d’explication, nous invitons le lecteur à se reporter à la lecture de l’article de J.S. BORGHETTI (Recueil Dalloz, 2014, 17, p. 1019, www.dalloz.fr).

 

AFFAIRE HOWALD MOOR ET AUTRES c. SUISSE(Requêtes nos 52067/10 et 41072/11)ARRÊTSTRASBOURG11 mars 2014DÉFINITIF11/06/2014Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Howald Moor et autres c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Peer Lorenzen,
András Sajó,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

[spoiler title=”Lire la suite”]

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 52067/10 et 41072/11) dirigées contre la Confédération suisse et dont trois ressortissantes de cet État (« les requérantes »), Mme Renate Anita Howald Moor (« la première requérante »), et Mmes Caroline Moor et Monika Moor (« les deuxième et troisième requérantes »), ont saisi la Cour respectivement le 4 août 2010 et le 10 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes ont été représentées par Me D. Husmann, avocat à Zürich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Frank Schürmann, de l’Office fédéral de la justice.

3.  Invoquant notamment l’article 6 § 1 de la Convention, les requérantes se plaignent d’une violation du droit d’accès à un tribunal en raison de la péremption de leurs prétentions (quant à la première requérante) et de la prescription de leurs prétentions (quant aux deuxième et troisième requérantes) alors que, selon elles, le dies a quo du délai absolu avait commencé à courir avant qu’elles aient pu avoir objectivement connaissance de leurs droits.

4.  Les requêtes ont été attribuées à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 7 décembre 2011, celle-ci a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La première requérante est née en 1949 et réside à Untersiggenthal. Elle avait épousé Hans Moor le 12 mai 2004. Les deuxième et troisième requérantes sont nées respectivement en 1973 et 1976 du premier mariage de Hans Moor, qui avait divorcé de sa première épouse le 9 janvier 1996, et elles résident à Zürich.

6.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.

A.  L’origine de la présente affaire

7.  Né en 1946, Hans Moor acheva en 1964 un apprentissage de mécanicien-ajusteur dans la fabrique de machines Oerlikon (aujourd’hui Alstom SA). Il y resta employé jusqu’à son décès, survenu le 10 novembre 2005.

8.  A partir de 1965, il y travailla en qualité de monteur sur turbines et y fut également chargé de travaux de révision des machines aussi bien en Suisse qu’à l’étranger. Alors qu’il ignorait les risques liés à la poussière d’amiante, il fut exposé à cette matière au cours de ses différentes activités au moins jusqu’en 1978, date à laquelle il se vit offrir un poste de direction dans le service interne de l’entreprise.

9.  Entre 1975 et 1976, la technique de flocage de l’amiante (Spritzasbest) fut interdite. Depuis 1989, l’amiante fait en Suisse l’objet d’une interdiction générale.

10.  Hans Moor a affirmé avoir encore été en contact avec de l’amiante à l’occasion de deux voyages à l’étranger, l’un aux États-Unis, en 1992, et l’autre aux Antilles, en 1996.

11.  En mai 2004, Hans Moor apprit qu’il souffrait d’un mésothéliome pleural malin causé par l’amiante à laquelle il avait été exposé dans le cadre de son travail.

12.  Cette maladie professionnelle étant assimilée dans la loi fédérale sur l’assurance-accidents à un accident professionnel, la caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (« la CNA ») versa à la victime, et ce jusqu’à son décès, les prestations prévues par la loi mentionnée, comprenant notamment la prise en charge des frais médicaux, des thérapies et des frais funéraires (15 931,55 francs suisses (CHF), soit environ 13 016 euros (EUR)), les indemnités journalières du 2 mai 2004 au 30 novembre 2005 (126 953,40 CHF, soit environ 102 901 EUR) et une rente d’invalidité à taux plein de 2 150 CHF (soit environ 1 743 EUR) par mois à compter du 1er avril 2005. De plus, comme il s’agissait d’une maladie professionnelle causée par l’amiante, ladite caisse versa une indemnité pour « atteinte à l’intégrité », qui s’élevait en l’espèce à 80 % du salaire annuel de l’assuré, soit 85 440 CHF (environ 69 253 EUR), dont la moitié fut versée à Hans Moor en 2005.

13.  Le 25 octobre 2005, Hans Moor s’adressa au tribunal d’arrondissement de Baden pour obtenir de son employeur, Alstom SA, qui avait repris la fabrique entre-temps, le paiement de 200 579 CHF (soit environ 162 578 EUR) pour dommages-intérêts (préjudice ménager et prestation pour soins [Pflegeschaden]) et pour préjudice moral, plus les intérêts. Il argüait que la maladie dont il était atteint avait été provoquée par son exposition à l’amiante sur son lieu de travail. Il estimait que son employeur avait failli à ses obligations en omettant, en toute connaissance de cause selon lui, de prendre des mesures de sécurité pour les employés qui, comme lui-même, étaient régulièrement exposés à l’amiante.

14.  Hans Moor décéda le 10 novembre 2005, à l’âge de 58 ans, des suites de sa maladie.

15.  Depuis le 1er décembre 2005, la CNA verse à la première requérante, au titre de l’assurance-accidents, une rente à vie de veuve d’un montant mensuel de 3 253 CHF (soit environ 2 637 EUR), qui a été revalorisée à 3 448,55 CHF (soit environ 2 796 EUR) au 1er janvier 2009. De plus, la première requérante reçoit, depuis le 1er décembre 2005, en raison du décès de son époux pour cause de maladie professionnelle, une rente de veuve à taux plein de 1 720 CHF (soit environ 1 394 EUR) en vertu de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Enfin, elle touche des prestations de la caisse de compensation de l’employeur de Hans Moor, soit une rente temporaire de veuve qui lui sera versée jusqu’à la date à laquelle Hans Moor aurait eu 65 ans, puis elle percevra, conformément à son choix, une somme sous forme de capital.

16.  En 2006, la seconde moitié de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité fut versée aux héritiers de Hans Moor (paragraphe 12 ci-dessus).

B.  Les procédures intentées par la première requérante au niveau interne

1.  Les procédures devant la CNA et le tribunal cantonal des assurances du canton d’Argovie

17.  Le 14 novembre 2005, la première requérante adressa à la CNA une demande en réparation du dommage moral à hauteur de 50 000 CHF (soit environ 40 527 EUR). Elle soutenait que l’assurance était solidairement responsable avec l’employeur du décès de son époux. Elle estimait en effet que la CNA avait failli à ses obligations relatives à la sécurité au travail en ayant, d’une part, fourni des informations tardives et inadéquates sur les dangers liés à l’amiante et, d’autre part, omis de prendre les mesures de protection adéquates, de vérifier la nécessité de l’utilisation de l’amiante et de procéder à des examens préventifs. Par une lettre du 6 octobre 2006, les deuxième et troisième requérantes complétèrent cette requête par des demandes en réparation du dommage moral qu’elles estimaient avoir subi, ainsi que par des revendications portant sur la réparation d’un préjudice ménager, sur le paiement d’indemnités pour perte de soutien et sur le paiement des frais d’avocat.

18.  Dans une décision du 16 octobre 2007, la CNA rejeta les demandes en dommages-intérêts au motif qu’elle ne pouvait être jugée responsable du décès de Hans Moor. Elle indiqua que, en tout état de cause, il y avait péremption pour les prétentions formulées relativement à des faits antérieurs à 1995, au sens de l’article 20, alinéa 1, de la loi fédérale sur la responsabilité (LRCF – paragraphe 44 ci-dessous) combinée avec l’article 78, alinéas 1 et 4, de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA – paragraphe 43 ci-dessous) et avec l’article 20, alinéa 1, de la LRCF prévoyant pour la responsabilité un délai absolu de péremption de dix ans à compter de l’acte dommageable. En effet, la CNA retint l’année 1978 comme date du dernier acte dommageable, car aucun des moyens de preuve présentés n’était, selon elle, en mesure de corroborer la réalité d’une exposition à l’amiante lors des séjours ultérieurs de Hans Moor aux États-Unis et aux Antilles. Elle considéra ainsi que le délai était arrivé à échéance depuis 1988. Pour les prétentions qui n’étaient pas périmées, la CNA conclut à l’absence de preuves d’une quelconque exposition de Hans Moor à l’amiante après 1995.

19.  Les intéressées formèrent un recours contre cette décision devant le tribunal cantonal des assurances du canton d’Argovie. Au cours de la procédure, les deuxième et troisième requérantes retirèrent leur demande de dommages-intérêts.

20.  Dans une décision du 8 avril 2009, le tribunal cantonal débouta la première requérante de sa demande, confirmant la péremption pour les prétentions formulées pour les faits antérieurs à 1995 et l’absence de preuves pour celles relatives aux allégations d’exposition à l’amiante après 1995.

2.  L’arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2010 (ATF 136 II 187)

21.  La première requérante introduisit un recours de droit public contre cette décision devant le Tribunal fédéral, la plus haute juridiction suisse.

22.  Dans un arrêt du 29 janvier 2010, notifié à la requérante le 5 février 2010, le Tribunal fédéral conclut à la péremption pour les prétentions de la requérante au motif que le délai absolu de dix ans courant à partir de la date de l’acte dommageable était échu, quand bien même le délai d’un an à compter de la date de la connaissance du dommage aurait été respecté.

23.  Le Tribunal fédéral considéra le délai de l’article 20, alinéa 1, de la LRCF comme un délai de péremption et non de prescription[1]. Tout en reconnaissant la possibilité de restituer le délai de péremption dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’ayant droit a été empêché de faire valoir ses prétentions pour des raisons insurmontables, indépendantes de sa volonté, telles que celles liées à la maladie, aux accidents ou aux catastrophes naturelles, il estima qu’il ne se justifiait pas de le faire en l’espèce. Il indiqua que la requérante ne pouvait se prévaloir de l’absence de connaissance du dommage pour demander une restitution de délai, car l’acceptation d’une telle justification aurait contredit le but du délai absolu de péremption.

24.  Le Tribunal fédéral jugea par ailleurs que, en dépit des allégations de la requérante, les prétentions en responsabilité pouvaient en l’espèce s’éteindre au sens de l’article 20, alinéa 1, de la LRCF indépendamment du fait de savoir si le dommage s’était déjà produit. Il parvint à cette conclusion après avoir procédé à une interprétation textuelle et téléologique de cette disposition, suivie d’une comparaison entre la jurisprudence qui lui était consacrée et celle qui était développée relativement à des règles de prescription/péremption dans d’autres domaines du droit (paragraphe 46 ci‑dessous).

25.  Il constata que, tant pour les prétentions en responsabilité fondées sur la LRCF que pour les prétentions tirées du droit pénal ou de la responsabilité civile, le délai de prescription/péremption commençait à courir à partir de la date de l’acte dommageable, et ce indépendamment de la date de l’apparition et de la réalisation du dommage. Il exposa que cela se justifiait par les impératifs de sécurité et de paix juridiques et par la difficulté accrue d’établir les faits et de collecter les preuves au fur et à mesure de l’écoulement du temps, et que, de plus, cela évitait qu’un créancier fasse valoir contre son débiteur des droits qu’il avait acquis à une époque trop lointaine.

26.  Le Tribunal fédéral refusa en outre de voir en l’espèce une violation de l’article 6 de la Convention. Il nota que, pour des raisons de sécurité juridique, tous les États européens limitaient dans le temps la possibilité de faire valoir des prétentions civiles. Il précisa que cette limitation ne pouvait être considérée en l’espèce comme une atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal et, partant, qu’elle ne pouvait être considérée comme étant disproportionnée, au motif que le système suisse prévoyait pour les victimes de l’amiante et leurs proches survivants l’imprescripti-bilité des prestations de la CNA mentionnées ci-dessus et qu’il offrait un dédommagement adéquat.

27.  Enfin, le Tribunal fédéral confirma l’appréciation des faits postérieurs à 1995 à laquelle avait procédé la juridiction inférieure et conclut à l’absence de preuves en ce qui concernait les prestations revendiquées pour la période postérieure à cette date.

C.  Les procédures intentées par les deuxième et troisième requérantes au niveau interne

1.  Devant le tribunal d’arrondissement de Baden et le tribunal cantonal du canton d’Argovie

28.  Le 6 mai 2006, les deuxième et troisième requérantes, en tant qu’héritières de Hans Moor, déclarèrent vouloir poursuivre le procès intenté par leur défunt père à l’encontre de son employeur (paragraphe 13 ci‑dessus).

29.  Dans une décision du 27 février 2009, le tribunal d’arrondissement de Baden rejeta les prétentions des requérantes. Après avoir constaté que les règles générales en matière de prescription s’appliquaient également aux obligations découlant du contrat de travail (article 341, alinéa 2, du code des obligations – paragraphe 51 ci-dessous), il conclut qu’il y avait prescription pour les prétentions nées de faits antérieurs à 1995 en s’appuyant sur les articles 127 et 130, alinéa 1, de la même loi (paragraphe 51 ci-dessous).

30.  Il estima, en se fondant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l’article 130, alinéa 1, que le délai de prescription commençait à courir à la date du manquement à l’obligation découlant du contrat, indépendamment de la date à laquelle la partie lésée avait connaissance de son droit d’action. Pour le surplus, la juridiction de première instance estima qu’aucun des moyens de preuve présentés n’était de nature à corroborer la réalité d’une exposition à l’amiante lors du séjour, ultérieur, aux Antilles. Partant, elle conclut que les conditions requises pour l’engagement d’une éventuelle responsabilité de l’employeur n’étaient pas remplies en l’espèce.

31.  Les requérantes formèrent un recours contre cette décision devant le tribunal cantonal.

32.  Dans une décision du 2 mars 2010, le tribunal cantonal du canton d’Argovie débouta les requérantes, se fondant sur l’article 127 du code des obligations (paragraphe 51 ci-dessous) et confirmant que la prescription de dix ans devait être calculée à partir de la date de la violation de ses obligations par le débiteur et non pas à partir de la survenance du dommage. Ainsi, selon le tribunal cantonal, les manquements allégués de l’employeur à ses obligations avant le 25 octobre 1995 – y compris pendant la période allant de 1966 à 1978 pendant laquelle Hans Moor aurait été exposé à l’amiante de manière régulière et intensive – étaient prescrits. S’agissant des faits postérieurs au 25 octobre 1995, le tribunal jugea que la preuve d’un manquement à une obligation n’avait pas été apportée.

2.  L’arrêt du Tribunal fédéral du 16 novembre 2010 (ATF 137 III 16)

33.  A la suite de la décision du tribunal cantonal du canton d’Argovie, les deuxième et troisième requérantes intentèrent un recours devant le Tribunal fédéral.

34.  Dans un arrêt du 16 novembre 2010, notifié aux requérantes le 27 janvier 2011, le Tribunal fédéral conclut à la prescription des prétentions des requérantes au motif que le délai absolu de dix ans courant à partir de la date de l’acte dommageable était échu, quand bien même le délai d’un an à compter de la date de la connaissance du dommage aurait été respecté.

35.  Se fondant sur les articles 127 et 130, alinéa 1, du code des obligations (paragraphe 51 ci-dessous), le Tribunal fédéral exposa que, sauf si la loi disposait autrement, toute prétention était prescrite au bout de dix ans, le délai commençant à courir dès l’exigibilité de la créance, indépendamment de la connaissance par le créancier des conséquences du dommage. Il ajouta que cette norme s’appliquait à des créances en dommages-intérêts découlant d’un litige relatif à un contrat de travail.

36.  Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral examina la question des atteintes à l’intégrité physique. Il conclut, en se fondant sur l’article 46, alinéa 2, du code des obligations (applicable par le renvoi des articles 99, alinéas 3, et 75 de la même loi – paragraphe 51 ci-dessous), que ce qui était décisif pour la naissance du droit pour le créancier d’exiger réparation était le moment où l’auteur du dommage avait, en violation de ses obligations, porté atteinte à l’intégrité physique de l’autre partie.

37.  Le Tribunal fédéral estima que, même si une partie de la doctrine allait dans le sens de l’opinion des requérantes selon laquelle le délai de prescription ne commençait à courir qu’à compter de la connaissance du dommage, il n’y avait aucune raison de s’écarter de la jurisprudence élaborée jusqu’alors et de traiter différemment les demandes de dommages-intérêts relatifs à un contrat de travail et les demandes de dommages-intérêts relatifs à des actes délictuels.

38.  Cependant, il admit que, pour certaines maladies, l’apparition du dommage dépendait, d’un point de vue scientifique, du moment où la maladie se déclarait et qu’il n’était pas possible de prévoir un dommage avec une certitude suffisante avant l’écoulement du délai de prescription. Il indiqua que, si le législateur avait tenu compte de cet inconvénient dans certains domaines (par exemple dans le domaine de la radioprotection – article 40 de la loi sur la radioprotection du 22 mars 1991 – paragraphe 52 ci-dessous), il avait opté non pas pour une réglementation générale, mais pour une approche sectorielle, et qu’il n’avait pas prévu de réglementation spécifique pour les dommages dus à l’amiante, raison pour laquelle le Tribunal fédéral considéra que le recours était mal fondé.

39.  Par ailleurs, le Tribunal fédéral réaffirma qu’il n’y avait pas violation de la Convention lorsqu’un créancier, au moment où il prenait connaissance de sa créance, n’avait plus le moyen d’en réclamer l’exécution. Il estima que pareil problème pouvait surgir de la même façon pour tout créancier, sans discrimination, et que l’on ne devait pas imposer à un débiteur l’obligation de conserver indéfiniment la preuve de l’accomplissement d’un contrat d’une façon conforme à ses obligations. Partant, il conclut à l’absence de discrimination en l’espèce.

D.  Développements ultérieurs

40.  Déposée le 11 octobre 2007, la motion parlementaire 07.3763 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national demanda au Conseil fédéral « de réviser le droit de la responsabilité civile, afin que les délais de prescription soient prolongés pour qu’une action en dommages-intérêts puisse être introduite même si un dommage se produi[sai]t à long terme ».

41.  Le 28 novembre 2007, le Conseil fédéral proposa d’accepter la motion dès lors que la « nécessité de réviser le droit de la responsabilité civile dans le sens voulu par l’auteur de la motion [était] ainsi établie, du moins en ce qui concernait les dommages causés aux personnes. »

42.  Le 29 novembre 2013, le Conseil fédéral présenta son projet de loi (« Message relatif à la modification du code des obligations [Droit de la prescription] » – ci-après projet ou projet de révision), élaboré sous l’égide de l’Office fédéral de la justice. Prévoyant l’allongement des délais de prescription (notamment un délai de prescription absolu de trente ans pour les dommages corporels), le projet vise essentiellement à uniformiser les dispositions en matière de droit de la prescription et à supprimer les incertitudes juridiques (pour plus de détails, voir les paragraphes 54-57 ci‑dessous).

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Concernant les prétentions de la première requérante découlant du droit fédéral public (requête no 52067/10)

1.  Le droit fédéral

43.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS – Recueil systématique du droit fédéral – 830.1) sont libellées comme suit :

Article 78 – Responsabilité

« 1  Les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel.

2  L’autorité compétente rend une décision sur les demandes en réparation.

3  La responsabilité subsidiaire de la Confédération pour les institutions indépendantes de l’administration ordinaire de la Confédération est régie par l’art. 19 de la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité [voir paragraphe 44 ci-dessous].

4  Les dispositions de la présente loi s’appliquent à la procédure prévue aux al. 1 et 3. Il n’y a pas de procédure d’opposition. Les art. 3 (…), 20, al. 1 [et] 21 (…) de la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité [voir paragraphe 44 ci-dessous] sont applicables par analogie.

5  Les personnes agissant en tant qu’organes ou agents d’un assureur, d’un organe de révision ou de contrôle ou auxquelles sont confiées des tâches dans le cadre des lois spéciales, sont soumises à la même responsabilité pénale que les membres des autorités et les fonctionnaires, selon les dispositions du code pénal. »

Article 82 – Dispositions transitoires

« 1  Les dispositions matérielles de la présente loi ne sont pas applicables aux prestations en cours et aux créances fixées avant son entrée en vigueur. Sur demande, les rentes d’invalidité ou de survivants réduites ou refusées en raison d’une faute de l’assuré seront cependant réexaminées et, si nécessaire, fixées à nouveau (…), au plus tôt à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. (…) »

44.  Les dispositions pertinentes de la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (loi sur la responsabilité (LRCF) ; RS 170.32) sont libellées comme suit :

Article 3

« 1  La Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire.

2  Lorsque la responsabilité pour des faits déterminés est prévue dans des actes législatifs spéciaux, la responsabilité de la Confédération est régie par ces dispositions. (…) »

Article 6

« 1  Si le fonctionnaire a commis une faute, l’autorité compétente peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d’homme, à la famille, une indemnité équitable à titre de réparation morale.

2  Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit, en cas de faute du fonctionnaire, à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. »

Article 19

« 1  Si un organe ou un employé d’une institution indépendante de l’administration ordinaire qui est chargée d’exécuter des tâches de droit public par la Confédération cause sans droit, dans l’exercice de cette activité, un dommage à un tiers ou à la Confédération :

a.  l’institution répond envers le lésé, (…), du dommage causé à un tiers. La Confédération est responsable envers le lésé du dommage que l’institution n’est pas en mesure de réparer. (…) ;

b.  les organes ou les employés fautifs répondent en premier lieu et l’institution à titre subsidiaire du dommage causé à la Confédération. (…).

2  (…).

3  L’institution statue sur les réclamations contestées de tiers ou de la Confédération qui sont dirigées contre elle ainsi que sur les réclamations de l’institution dirigées contre les organes ou les employés fautifs. La procédure de recours est régie par les dispositions générales de la procédure fédérale. »

Article 20

« 1  La responsabilité de la Confédération (art. 3 ss) s’éteint si le lésé n’introduit pas sa demande de dommages-intérêts ou d’indemnité à titre de réparation morale dans l’année à compter du jour où il a eu connaissance du dommage, et en tout cas dans les dix ans à compter de l’acte dommageable du fonctionnaire.

2  La demande doit être adressée au Département fédéral des finances.

3  Si, (…), la Confédération conteste la demande ou si elle ne prend pas position dans les trois mois, le lésé doit introduire action dans un nouveau délai de six mois sous peine de péremption. »

Article 21

« Le droit de recours de la Confédération contre le fonctionnaire se prescrit par un an à compter de la reconnaissance ou de la constatation exécutoire de la responsabilité de la Confédération et en tout cas par dix ans à compter de l’acte dommageable du fonctionnaire. »

2.  Le projet de révision du droit de la prescription

45.  Comme décrit plus haut, le droit de la prescription est en cours de révision (paragraphes 40-42 ci-dessus). Les dispositions générales pro-posées par le législateur devraient s’appliquer à toutes les créances de droit privé, qu’elles découlent d’un contrat, d’un acte illicite ou d’un enrichissement illégitime. La modification du droit en vigueur prévoit également que l’article 20, alinéa 1, de la LRCF se lise comme suit : « L’action contre la Confédération (…) se prescrit conformément aux dispositions générales du code des obligations sur la prescription. » Il s’ensuit que, selon la LCFR, les dispositions générales du projet du Conseil fédéral devraient également s’appliquer aux actions contre la Confédération (pour plus d’informations sur le projet de révision, voir également les paragraphes 54-57 ci-dessous).

3.  La jurisprudence du Tribunal fédéral

46.  Dans un arrêt du 21 juin 1988 (publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse, ATF 114 V 123, considérant 3.b), le Tribunal fédéral a reconnu que la restitution pour inobservation d’un délai était un principe général du droit qu’il se justifiait d’appliquer même pour un délai de péremption s’il existait une cause légitime pour celui qui s’en prévalait.

47.  Dans la présente affaire (ATF 136 II 187 ; voir para-graphes 21‑27 ci‑dessus), pour comparer la jurisprudence relative aux règles de prescription/péremption dans les différents domaines du droit, le Tribunal fédéral s’est appuyé sur un arrêt en matière pénale du 11 août 2008 (ATF 134 IV 297, considérant 4), estimant que, conformément au libellé de la loi, c’est le moment où l’auteur a exercé son activité dangereuse et non celui auquel se produisent les effets de cette dernière qui détermine le point de départ de la prescription. Pour le Tribunal fédéral, il s’ensuit que des actes pénalement répréhensibles peuvent être atteints par la prescription avant qu’en surviennent les effets et que cette conséquence est conforme aux droits fondamentaux.

48.  Le Tribunal fédéral a tiré des conclusions similaires concernant le point de départ de la prescription dans des arrêts du 21 janvier 2000 pour les règles de la LRCF et du 4 avril 2001 pour les règles de la responsabilité civile délictuelle, tous deux publiés au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF 126 II 145, considérant 2b, et ATF 127 III 257, considérant 2b/aa).

49.  Le Tribunal fédéral a choisi une autre approche dans l’arrêt du 1er octobre 2008 (ATF 134 II 308, considérant 5) dans le domaine de l’aide aux victimes d’infractions, dans lequel le délai de péremption ne commence à courir qu’une fois que tous les éléments constitutifs de l’infraction, comprenant le dommage, sont réalisés. Dans cet arrêt, il a estimé que, à la différence des autres domaines du droit mentionné, dans ce domaine la législation visait justement la protection des victimes et que c’était le point de vue de celles-ci qui devait être adopté (paragraphe 63 ci-dessous).

50.  Dans un arrêt du 18 octobre 2006 (ATF 133 V 14, considérant 6), le Tribunal fédéral a jugé que le délai de l’article 20, alinéa 1, de la LRCF auquel renvoie l’article 78, alinéa 4, LPGA est un délai de péremption, et non un délai de prescription. Ce dernier type de délai ne peut être interrompu, et la demande doit impérativement être déposée en temps utile.

B.  Concernant les prétentions des deuxième et troisième requérantes découlant du droit fédéral privé (requête no 41072/11)

1.  Le droit fédéral

51.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations ; « code des obligations » ou « CO » ; RS 220) sont libellées comme suit :

Article 46 – Dommages-intérêts en cas de lésions corporelles

« 1  En cas de lésions corporelles, la partie qui en est victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique.

2  S’il n’est pas possible, lors du jugement, de déterminer avec une certitude suffisante les suites des lésions corporelles, le juge a le droit de réserver une révision du jugement pendant un délai de deux ans au plus à compter du jour où il a prononcé. »

Article 60 – Prescription

« 1  L’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l’auteur, et, dans tous les cas, par dix ans dès le jour où le fait dommageable s’est produit.

2  Toutefois, si les dommages-intérêts dérivent d’un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s’applique à l’action civile.

3  Si l’acte illicite a donné naissance à une créance contre la partie lésée, celle-ci peut en refuser le paiement lors même que son droit d’exiger la réparation du dommage serait atteint par la prescription. »

Article 75 – Époque de l’exécution – Obligations sans terme

« A défaut de terme stipulé ou résultant de la nature de l’affaire, l’obligation peut être exécutée et l’exécution peut en être exigée immédiatement. »

Article 99 – Étendue de la réparation

« 1-2  (…)

3  Les règles relatives à la responsabilité dérivant d’actes illicites s’appliquent par analogie aux effets de la faute contractuelle. »

Article 127 – Prescription – Délais

« Toutes les actions se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n’en dispose pas autrement. »

Article 130 – Début de la prescription

« 1  La prescription court dès que la créance est devenue exigible.

2  Si l’exigibilité de la créance est subordonnée à un avertissement, la prescription court dès le jour pour lequel cet avertissement pouvait être donné. »

Article 341 – Impossibilité de renoncer et prescription

« 1  (…)

2  Les dispositions générales en matière de prescription sont applicables aux créances découlant du contrat de travail. »

 

52.  La disposition pertinente de la loi du 22 mars 1991 sur la radioprotection (LRaP ; RS 814.50) est libellée comme suit :

Article 40 – Prescription des prétentions en matière de responsabilité civile

« Les prétentions en matière de dommages-intérêts et de réparation du tort moral pour des dégâts occasionnés par des rayonnements ionisants et ne relevant pas de la loi du 18 mars 1983 sur la responsabilité civile en matière nucléaire [RS 732.44], se prescrivent par trois ans à compter de la date à laquelle le lésé a eu connaissance du dommage et de la personne civilement responsable et au plus par 30 ans à compter du moment où l’événement a cessé. »

53.  La disposition pertinente de la loi du 2 avril 1908 sur le contrat d’assurance (LCA ; RS 221.229.1) est libellée comme suit :

Article 46 – Prescription et déchéance

« 1  Les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation. (…)

2  (…) »

2.  Le projet de révision du droit de la prescription

54.  Le projet du Conseil fédéral expose que, dans les cas de demandes en réparation, lorsque le dommage est différé ou qu’il est difficile à déterminer, il peut arriver que le délai absolu soit expiré avant même la survenance ou l’identification du dommage. De telles périodes de latence se présentent avant tout en matière de lésions corporelles et d’atteintes à la santé dues, par exemple, à l’amiante, à certains médicaments ou à des matières radioactives. C’est la raison pour laquelle sera introduit pour ce type de dommages un délai absolu de trente ans en cas de dommages corporels. Les dommages corporels peuvent découler de lésions corporelles ou de mort d’homme.

55.  Selon le projet, le jour à compter duquel le délai absolu commence à courir (dies a quo) est déterminé de façon objective, contrairement au délai relatif. Pour les actions en réparation du dommage et du tort moral, le moment déterminant est le comportement ayant causé le fait dommageable. Lorsque le comportement dommageable ne s’épuise pas en un seul acte mais s’inscrit dans la durée, le délai de prescription absolu ne commence à courir qu’au moment où la continuité de l’acte est rompue. Il ne peut commencer à courir tant que le comportement dommageable dure.

56.  Le projet prévoit également en cas de lésions corporelles un délai relatif de trois ans calculé à compter du moment où le créancier a eu connaissance de la créance et de l’auteur du dommage.

57.  Enfin, en ce qui concerne le droit transitoire, le projet énonce que les nouvelles dispositions ne seront en aucun cas applicables lorsque le délai de prescription prévu par l’ancien droit est déjà écoulé.

3.  La jurisprudence du Tribunal fédéral

58.  Le 19 septembre 1961, le Tribunal fédéral a jugé que la prescription décennale prévue aux articles 127 et 130, alinéa 1, du CO, court dès que la créance est exigible, indépendamment de la connaissance par le créancier de l’existence de son droit (ATF 87 II 155, considérant 3).

59.  L’arrêt ATF 87 II 155 a été repris dans un arrêt du 3 juin 1980 concernant une action en dommages-intérêts dirigée contre l’ex-employeur d’un travailleur exposé à des radiations ionisantes sur son lieu de travail. Le Tribunal fédéral a confirmé que la prescription décennale de l’article 127 du CO, comme celle de l’article 60, alinéa 1, du CO, courait indépendamment de la connaissance par le créancier de l’existence de son droit (ATF 106 II 134, considérant 2a).

60.  Cette solution a été critiquée par une partie de la doctrine. Mais selon le Tribunal fédéral, la prescription de dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit est subsidiaire et vise à éviter, dans l’intérêt de la sécurité juridique, qu’un débiteur ne soit menacé par des réclamations au-delà d’un délai de plus longue durée dont le point de départ est fixé strictement, sans égard à la connaissance par le créancier du dommage et de son auteur (ATF 106 II 134 considérant 2c).

61.  Cependant, le Tribunal fédéral admet que cette réglementation peut être trop stricte pour le lésé et il note à cet égard que le législateur a, dans certains cas, prévu des solutions spécifiques. Par exemple, pour résoudre le problème des effets tardifs des radiations ionisantes, le législateur a, dans la loi du 23 décembre 1959 sur l’utilisation pacifique de l’énergie atomique et la protection contre les radiations, renvoyé le lésé vers un fonds pour dommages atomiques différés pour faire valoir ses prétentions en réparation de dommages corporels au-delà du délai de prescription absolu (article 18 LUA ; ATF 106 II 134, considérant 2c).

62.  On rappellera cependant que cette disposition ne s’appliquait que dans le cas des radiations ionisantes. Par ailleurs, aujourd’hui la question serait réglée différemment, car, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la radioprotection (LRaP), le délai absolu de prescription concernant les prétentions de personnes lésées par des radiations ionisantes est de trente ans (article 40 ; paragraphe 52 ci-dessus).

63.  Le 1er octobre 2008, le Tribunal fédéral a jugé que, dans le domaine de l’aide aux victimes d’infractions, le délai de prescription ne commençait à courir qu’une fois le dommage réalisé. Il a en effet estimé que, dans ce domaine, la législation visait justement la protection des victimes et que c’était le point de vue de celles-ci qui devait être adopté (ATF 134 II 308, considérant 5).

 

EN DROIT

I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

 

64.  Considérant que les deux requêtes concernent la même question, à savoir le droit d’accès à un tribunal, la Cour décide de les joindre.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVEN­TION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 6

65.  Dans leurs requêtes, les requérantes se plaignent essentiellement d’une violation du droit d’accès à un tribunal. Elles invoquent également les articles 2, 8, 13 de la Convention et l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

66.  La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Halil Yüksel Akıncı c. Turquie, no 39125/04, § 54, 11 décembre 2012, Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012, et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), estime approprié d’examiner la présente affaire sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 14 (combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention), dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…). »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.  Sur la recevabilité

67.  Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Les thèses des parties

68.  En résumé, les requérantes se plaignent d’une violation du droit d’accès à un tribunal, au motif que leurs prétentions ont été jugées périmées ou prescrites alors que, selon elles, les délais de péremption/prescription avaient commencé à courir avant qu’elles aient pu avoir objectivement connaissance de leurs droits. Partant, les requérantes, qui disent se référer à la jurisprudence de la Cour, sont d’avis que les limitations dénoncées ont restreint l’accès à un tribunal de manière ou à un point tels que leur droit à un tribunal en aurait été atteint dans sa substance même. Elles ajoutent qu’il n’existait aucune possibilité réelle de faire valoir des droits avant la péremption ou la prescription de ceux-ci.

69.  Le Gouvernement rétorque qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En résumé, il soutient que les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer comment circonscrire le droit d’accès à un tribunal. Il indique que, dans la présente affaire, les requérantes ont pu porter leurs griefs devant plusieurs juridictions internes et que celles-ci les ont examinés à la lumière du droit interne applicable et de la Convention. Il en déduit qu’elles ont donc bien eu accès à un tribunal, même si l’examen par les juridictions internes s’est trouvé, pour des motifs légitimes selon lui, limité par la péremption ou la prescription des prétentions des intéressées. Enfin, il est d’avis que la Cour ne peut s’ériger en juridiction de quatrième instance.

2.  L’appréciation par la Cour

a)  Sur le grief tiré de l’article 6 § 1

i.  Les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

70.  La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (voir, entre autres, Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 49, CEDH 2002‑IX, et Eşim c. Turquie, no 59601/09, § 18, 17 septembre 2013). Elle réaffirme que chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect particulier (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18, et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001‑VIII).

71.  La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence selon laquelle le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000‑II). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sasubstance même (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012). La Cour rappelle en outre que les limitations appliquées ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, Pedro Ramos c. Suisse, no 10111/06, § 37, 14 octobre 2010, Levages Prestations Services c. France, 23 octobre 1996, § 40, Recueil 1996‑V, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 50, Recueil 1996‑IV, et Stagno c. Belgique, no 1062/07, § 25, 7 juillet 2009).

72.  Parmi ces restrictions légitimes figurent les délais légaux de péremption ou de prescription qui, la Cour le rappelle, dans les affaires d’atteinte à l’intégrité de la personne, ont plusieurs finalités importantes, à savoir garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (Stubbings, précité, § 51, et Stagno, précité, § 26 ).

73.  Enfin, la Cour renvoie à l’arrêt Eşim (précité). Dans cette affaire, le requérant avait été blessé en 1990 lors d’un conflit militaire et les médecins n’avaient découvert la balle de pistolet logée dans sa tête qu’en 2007. Les tribunaux internes avaient jugé que la prétention ainsi que l’action en dommages-intérêts étaient prescrites. La Cour a conclu à la violation du droit d’accès à un tribunal, estimant que, dans les affaires d’indemnisation des victimes d’atteinte à l’intégrité physique, celles-ci devaient avoir le droit d’agir en justice lorsqu’elles étaient effectivement en mesure d’évaluer le dommage subi.

ii.  L’application des principes susmentionnés à la présente affaire

74.  En l’espèce, la Cour note d’emblée que le présent litige porte sur un problème complexe, à savoir la fixation du dies a quo du délai de péremption ou de prescription décennale en droit positif suisse dans le cas des victimes d’exposition à l’amiante. Considérant que la période de latence des maladies liées à l’exposition à l’amiante peut s’étendre sur plusieurs décennies, elle observe que le délai absolu de dix ans – qui selon la législation en vigueur et la jurisprudence du Tribunal fédéral commence à courir à la date à laquelle l’intéressé a été exposé à la poussière d’amiante – sera toujours expiré. Par conséquent, toute action en dommages-intérêts sera a priori vouée à l’échec, étant périmée ou prescrite avant même que les victimes de l’amiante aient pu avoir objectivement connaissance de leurs droits.

75.  Ensuite, la Cour constate que les prétentions des victimes de l’amiante, qui ont été exposées à cette substance jusqu’à son interdiction générale en Suisse, en 1989, sont toutes périmées ou prescrites au regard du droit en vigueur. Elle observe également que le projet de révision du droit de la prescription suisse ne prévoit aucune solution équitable – ne serait-ce qu’à titre transitoire, sous la forme d’un « délai de grâce » – au problème posé.

76.  Par ailleurs, la Cour ne méconnaît pas que les requérantes ont touché certaines prestations. Elle se demande cependant si celles-ci sont de nature à compenser entièrement les dommages résultés pour les intéressées de la péremption ou de la prescription de leurs droits.

77.  Par ailleurs, même si elle est convaincue des buts légitimes poursuivis par les règles de péremption ou de prescription appliquées, à savoir notamment la sécurité juridique, la Cour s’interroge sur le caractère proportionné de leur application à la présente espèce. En effet, elle admet, comme le soutiennent les requérantes, que l’application systématique de ces règles à des victimes de maladies qui, comme celles causées par l’amiante, ne peuvent être diagnostiquées que de longues années après les événements pathogènes, est susceptible de priver les intéressés de la possibilité de faire valoir leurs prétentions en justice.

78.  Prenant en compte la législation existant en Suisse pour des situations analogues et sans vouloir préjuger d’autres solutions en­visageables, la Cour estime que, lorsqu’il est scientifiquement prouvé qu’une personne est dans l’impossibilité de savoir qu’elle souffre d’une certaine maladie, une telle circonstance devrait être prise en compte pour le calcul du délai de péremption ou de prescription.

79.  Partant, au vu des circonstances exceptionnelles de la présente espèce, la Cour estime que l’application des délais de péremption ou de prescription a limité l’accès à un tribunal à un point tel que le droit des requérantes s’en est trouvé atteint dans sa substance même, et qu’elle a ainsi emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Stagno, précité, § 33, avec les références qui y sont citées).

80.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

b)  Sur le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention

81.  Eu égard à son constat figurant aux paragraphes 79 et 80 ci-dessus, la Cour estime qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

82.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaite­ment les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

83.  La première requérante réclame 288 755 francs suisses (CHF), soit environ 234 406 euros (EUR), et les deuxième et troisième requérantes 200 579 CHF (soit environ 162 826 EUR), sommes majorées d’intérêts de 5 % par année. Elles sollicitent ces montants pour le préjudice matériel qui aurait découlé de l’application du droit suisse de la péremption (s’agissant de la première requérante) et de la prescription (s’agissant des deuxième et troisième requérantes).

84.  De plus, les requérantes demandent une compensation de 15 000 CHF conjointement (soit environ 12 180 EUR) pour le dommage moral qu’elles estiment être résulté de la durée du litige et de la souffrance psychologique née, selon elles, de l’incertitude quant à l’issue de la procédure.

85.  Le Gouvernement conteste ces montants, soutenant que, dans la présente procédure, les seules questions litigieuses sont de savoir si les requérantes ont eu accès à un tribunal au sens de l’article 6 de la Convention, et si les deuxième et troisième requérantes ont été victimes d’une discrimination fondée sur la nature de la maladie du défunt, en violation de l’article 14 de la Convention combiné avec son article 6 § 1. Il est d’avis que l’objet de la présente requête n’est pas de déterminer si les prétentions que la première requérante a formulées à l’encontre de la CNA et que le défunt père des deuxième et troisième requérantes a présentées à l’encontre de son employeur, Alstom SA, sont légitimes au regard de l’article 6 § 1 de la Convention. Il en déduit que le lien de causalité entre le constat de violation et le dommage matériel allégué fait manifestement défaut et que les prétentions des requérantes doivent être rejetées pour ce motif.

86.  Quant à la réparation du tort moral, le Gouvernement soutient que les requérantes ne justifient nullement le montant présenté à ce titre. Il indique que, si la Cour concluait à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention ou encore (dans le cas des deuxième et troisième requérantes) de l’article 14 de la Convention, ce constat constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral dont les requérantes auraient pu souffrir.

87.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande présentée à ce titre. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérantes 15 000 CHF (soit environ 12 180 EUR) au titre du préjudice moral, notamment à raison des souffrances psychologiques subies par les intéressées.

B.  Frais et dépens

88.  Les requérantes soutiennent que leur avocat a consacré à leur affaire 58,2 heures (pour la première requérante, dont 45,7 heures pour la rédaction de la requête du 4 août 2010) et 44,3 heures (pour les deuxième et troisième requérantes, dont 24,8 heures pour la rédaction de la requête du 10 juin 2011). Le taux horaire habituel d’un avocat zurichois s’élève à 300 CHF hors TVA (soit environ 244 EUR).

89.  Le Gouvernement indique que la première requérante n’étaye pas ces prétentions. Il considère que, si l’on tient compte des écritures rédigées par le représentant devant la Cour et du fait que celle-ci a retenu un seul grief (parmi ceux formulés par la première requérante), l’octroi d’une indemnité de 3 000 CHF (soit environ 2 435 EUR) serait approprié pour couvrir les frais et dépens pour la procédure engagée devant la Cour. Quant aux deuxième et troisième requérantes, il est d’avis que les frais d’avocat n’ont pas été réellement et nécessairement engagés pour faire constater la violation alléguée. Il précise que les griefs soulevés par les deuxième et troisième requérantes n’ont que partiellement été pris en compte par la Cour. Partant, l’octroi d’une indemnité de 3 000 CHF (soit environ 2 435 EUR), lui semblerait approprié pour couvrir les frais et dépens pour la procédure engagée devant la Cour.

90.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

91.  En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, elle estime raisonnable la somme de 5 000 EUR (soit environ 6 165 CHF), tous frais confondus, et l’accorde à la première requérante, augmentée de tout montant pouvant être dû par l’intéressée à titre d’impôt.

92.  En ce qui concerne les deuxième et troisième requérantes, la Cour, considérant notamment que leur requête repose partiellement sur celle de la première requérante, estime raisonnable la somme de 4 000 EUR (soit environ 4 932 CHF), tous frais confondus, et l’accorde conjointement aux deuxième et troisième requérantes, augmentée de tout montant pouvant être dû par les intéressées à titre d’impôt.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

 

2.  Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

 

3.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

 

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention ;

 

5.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’État défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en francs suisses, au taux applicable à la date du règlement :

i.  12 180 EUR (douze mille cent quatre-vingts euros) conjointement à Mmes Renate Anita Howald Moor, Caroline Moor et Monika Moor, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.  5 000 EUR (cinq mille euros) à Mme Renate Anita Howald Moor, pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante,

iii.  4 000 EUR (quatre mille euros) conjointement à Mmes Caroline Moor et Monika Moor, pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérantes ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 mars 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley Naismith              Guido Raimondi
Greffier              Président

 

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Lemmens et Spano.

G.R.A.
S.H.N.

 

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

 

1.  À mon grand regret, je n’ai pu voter avec la majorité en ce qui concerne la question principale dans cette affaire, celle de savoir s’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

2.  Dans la présente affaire, deux délais de prescription ou de péremption étaient en cause. En ce qui concerne l’action de feu M. Moor, reprise par ses enfants et dirigée contre l’employeur de celui-ci, l’article 127 du code des obligations prévoyait un délai de prescription de dix ans, et l’article 130, alinéa 1, disposait que la prescription courait « dès que la créance est devenue exigible ». Selon le Tribunal fédéral, cette dernière disposition impliquait qu’il y avait un délai maximal de dix ans à compter de l’acte dommageable, indépendamment du moment où la partie lésée avait connaissance du dommage. En ce qui concerne l’action de la veuve de M. Moor, dirigée contre la caisse nationale d’assurance en cas d’accidents –une autorité publique – l’article 20, alinéa 1, de la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération prévoyait explicitement un délai de péremption d’un an à compter du jour où la partie lésée avait eu connaissance du dommage, avec toutefois un délai maximal de dix ans « à compter de l’acte dommageable ».

 

Le législateur suisse a donc limité le droit d’action, pour les deux types d’action, à un délai de dix ans à partir de l’acte dommageable. Selon la majorité, ce délai a limité le droit d’accès des requérantes à un tribunal à un point tel que ce droit a été violé. La majorité précise qu’elle arrive à cette conclusion « au vu des circonstances exceptionnelles de la présente espèce » (paragraphe 79 de l’arrêt).

 

3.  À mon avis, les États parties à la Convention sont entièrement libres, sous réserve de leurs obligations positives découlant de la Convention, de déterminer l’étendue des droits subjectifs qu’ils créent dans leur ordre juridique. Cela implique qu’ils sont en principe libres de circonscrire le droit d’action (ou l’action) lié à un droit subjectif.

 

En l’espèce, le législateur suisse a estimé que, sauf exception prévue par la loi, le droit d’action s’éteint dix ans après le fait dommageable. Autrement dit, à partir de ce moment, il n’y a plus de droit d’action.

 

Je ne suis pas sûr que dans une telle situation l’irrecevabilité de la demande pour cause de prescription ou de péremption de l’action constitue une limitation du droit d’accès à un tribunal. Certes, la prescription ou la péremption empêche qu’un juge puisse encore se prononcer sur l’action. Mais c’est ce qu’a voulu le législateur quand il a créé le droit subjectif et l’a assorti – implicitement – d’un droit d’action. La majorité reconnaît par ailleurs que des délais de prescription ou de péremption peuvent poursuivre des finalités importantes (paragraphe 72 de l’arrêt).

 

Il peut y avoir un problème sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention si le délai de prescription ou de péremption, en ne tenant pas compte des circonstances particulières d’une affaire, empêche un justiciable d’exercer une action qui était en principe disponible pour lui (Stagno c. Belgique, no 1062/07, § 33, 7 juillet 2009). Tel ne me semble pas être le cas en l’espèce : au moment où M. Moor et son épouse ont introduit leurs demandes, leur droit d’action, comme celui de toute personne lésée dans la même situation, était déjà éteint. À aucun moment antérieur ils n’ont été en mesure d’exercer ce droit, faute de l’apparition d’effets dommageables des actes reprochés aux parties défenderesses.

 

L’arrêt suit la ligne de jurisprudence développée dans les affaires Sabri Güneş et Eşim. La Cour y a énoncé, d’une manière générale, qu’ « en matière d’indemnisation du dommage corporel, le droit de recours doit s’exercer à partir du moment où les justiciables peuvent effectivement évaluer le dommage qu’ils ont subi » (Sabri Güneş c. Turquie, no 27396/06, § 66, 24 mai 2011, et Eşim c. Turquie, no 59601/09, § 25, 17 septembre 2013). Dans la présente affaire, « la Cour estime que, lorsqu’il est scientifiquement prouvé qu’une personne est dans l’impossibilité de savoir qu’elle souffre d’une certaine maladie, une telle circonstance devrait être prise en compte pour le calcul du délai de péremption ou de prescription » (paragraphe 78 de l’arrêt). À mon avis, la Cour empiète ainsi sur le domaine des autorités nationales. Je fais observer que l’affaire Sabri Güneş a été déférée à la Grande Chambre. Toutefois, la Grande Chambre a constaté que la requête avait été introduite plus de six mois après la signification de la décision interne définitive, de sorte qu’elle n’a pas pu se pencher sur la question de la limitation du droit d’accès à un tribunal (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, 29 juin 2012).

 

4.  Les circonstances particulières de l’affaire sont pertinentes pour évaluer l’effet de l’application des règles de prescription et de péremption.

 

C’est un fait que les requérantes n’ont pas pu introduire ou poursuivre une demande recevable. Toutefois, selon les données du dossier, M. Moor aurait été exposé à l’amiante « au moins jusqu’en 1978 » (paragraphe 8), et l’amiante a été interdite en Suisse à partir de 1989 (paragraphe 9). On peut donc retenir l’année 1978 ou, du moins, l’année 1989 comme la date du dernier acte dommageable. Or les actions en justice ont été intentées respectivement en 2005 et en 2006, c’est-à-dire 27 et 28 ans, ou du moins 16 et 17 ans, après les faits. Ce sont des délais considérables, qui rendent difficile de conclure qu’il y a eu une limitation « disproportionnée » du droit d’accès à un tribunal.

 

5.  Le fait de prévoir des délais de prescription courts peut soulever un problème sous l’angle d’autres dispositions de la Convention. C’est ainsi que, dans des affaires de droit de la famille, la Cour a constaté quelquefois qu’en rendant impossible l’introduction de demandes d’un certain type par l’application rigide des règles de prescription, l’État défendeur avait méconnu son obligation positive de protéger le droit au respect de la vie privée des intéressés (Shofman c. Russie, no 74826/01, 24 novembre 2005, etPhinikaridou c. Chypre, no 23890/02, 20 décembre 2007).

 

En l’espèce, les requérantes n’invoquaient pas un tel grief, et il me semble difficile de concevoir une incompatibilité avec d’autres dispositions de la Convention. De toute façon, si l’on considère la péremption ou la prescription comme une atteinte à un droit matériel garanti par la Convention, il faudrait alors prendre encore en considération le fait que les requérantes ont touché des prestations par le biais des assurances sociales.

 

6.  Tout ce qui précède n’enlève rien au fait que, sur le plan de l’opportunité et même de l’équité, il y a de bons motifs pour le législateur de modifier les règles en vigueur. On peut paraphraser l’arrêt Stubbings et autres c. Royaume-Uni, et espérer que, « dans un proche avenir », le législateur examine la possibilité d’« amender les règles sur la prescription des actions (…) afin d’édicter des dispositions spéciales pour [le] groupe de plaignants [auquel les requérantes appartiennent] » (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).

 

 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPANO

(Traduction)

 

1. Au paragraphe 78 de l’arrêt, la Cour dit, à juste titre, qu’au moment de fixer la durée du délai de prescription pour l’introduction d’une action en indemnisation, il faut tenir compte des cas où il est scientifiquement prouvé qu’il est impossible pour une personne souffrant d’une affection donnée d’avoir eu connaissance de sa maladie avant un certain délai.

2. La présente opinion a pour but d’expliquer la manière dont je comprends cette considération de l’arrêt rendu ce jour.

3. Les délais de prescription, qui répondent à l’intérêt public de garantir la sécurité juridique et le caractère définitif de l’administration de la justice (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 2006, § 51), ont inévitablement pour effet d’exclure la résolution judiciaire de certains griefs qui peuvent être tout à fait justifiés quant au fond. Pour autant, on ne saurait interpréter le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 comme signifiant qu’en matière d’action civile en indemnisation, un délai de prescription absolu qui commence à courir à la date où l’acte a eu lieu et non à celle où le demandeur peut avoir connaissance de sa maladie sera toujours jugé disproportionné au regard de la Convention. Le critère à retenir doit être celui de savoir si la durée d’un délai absolu peut être considérée comme raisonnable à la lumière des éléments essentiels de la majorité des affaires auquel il s’applique (voir Stubbings et autres, précité, § 53 : « Le délai dont il s’agit n’était pas exagérément court ; … »).

4. Dès lors, si, en matière d’action civile en indemnisation dans les cas de maladies professionnelles à longue durée d’incubation, un État adopte un délai de prescription qui tient raisonnablement compte de la grande majorité des cas, l’application d’un tel délai peut, en principe, être conforme à l’article 6 § 1, même dans les cas où, n’ayant pas eu connaissance suffisamment tôt de sa maladie et du fait qu’elle était de cause professionnelle, le demandeur s’est trouvé dans l’impossibilité d’introduire son action avant l’expiration de ce délai. Le point de savoir si le régime interne offre d’autres possibilités d’obtenir réparation, par exemple par un fonds public d’indemnisation, est aussi un facteur à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure au regard de l’article 6 § 1.

5. A la lumière de ces considérations, il m’apparaît que la conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur ce point en l’espèce doit être comprise non pas comme excluant la possibilité que le droit interne puisse prévoir des délais de prescription absolus commençant à courir à la date de l’acte dans les procédures telles que celle en cause ici, mais comme exigeant que ces délais ne soient pas exagérément courts compte tenu de leur champ d’application général.

6. Appliquant ces principes aux faits de la cause, je suis d’accord avec la Cour pour dire que le délai absolu de dix ans appliqué en l’espèce a constitué une réponse disproportionnée, au sens de l’article 6 § 1, à la situation du requérant. En bref, ce délai ne tenait pas raisonnablement compte des éléments essentiels inhérents à la majorité des cas de maladie liée à l’amiante.

 

 

 


[1].  À la différence du délai de prescription, le délai de péremption ne peut être interrompu et doit être appliqué d’office par le juge.

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